vaut pour beaucoup d’autres. Parti à l’armée sur le cheval pris à son père, au bout de deux ans, il veut revoir Cotignola, mais il ne rêve plus que victoires, richesses et domination. Il est déjà l’espoir de la famille. « Sois donc homme d’armes, lui dit le patriarche aux vingt et un fils, retourne au camp et fais fortune. » Il repart avec quatre chevaux, à lui cette fois, qu’on lui achète en engageant une terre, et toute une maisonnée de parens. Noiraud et poilu au physique, il est, au moral, si violent qu’on ne l’appelle plus que d’un surnom : le Sforza ; il est avide, inquiet, hanté par la gloire et le bonheur des condottieri ses rivaux. Peu d’années après, on le retrouve au palais à Naples ; il est, pour la reine Jeanne, d’abord un très beau soldat, — bellissimo soldato, — puis quelque chose de plus, car « elle s’abandonnait, dans le pire désordre, aux déshonnêtes amours[1], » enfin son conseiller pendant un certain temps seul écoulé, jusqu’à ce qu’il fût remplacé à l’oreille et dans le cœur de sa maîtresse par Pandolfo Alopo, qui le fit jeter en prison. Sa mort, au passage du fleuve Pescara, fut tout ensemble héroïque et tragique. Muzio Sforza avait, remarque un de ses biographes[2], une certaine fourberie paysanne, bien que, « inexpert des ruses et des cours, il tombât facilement dans les traquenards. » Mais, si on lui tend des pièges, lui aussi, il s’ingénie de son mieux à entendre. Dans sa chancellerie, il ne supporte que des frères « parce que, dit-il, ils sont faits tout exprès pour se fourrer (ficcarsi), pour espionner en tout lieu, et, qu’avec l’excuse de la religion, ils s’introduisent partout « con libera e sempre impunita simulatione. » Ce n’est pas qu’il n’ait point de sentimens pieux : il entend la messe tous les jours et il communie tous les ans. Plus souvent, « ce serait une hypocrisie, une maladresse. À quoi bon fatiguer Dieu par de longues cérémonies ? De toute façon je dois mettre les mains dans le sang. Un condottiere de guerre ne peut maintenir une justice sévère. Si j’avais le gouvernement d’une cité, je me comporterais d’une tout autre sorte. » Quand il n’arrive pas à empêcher les excès de la soldatesque, il assure qu’il a en demande pardon à Dieu[3]. » Simulation, résignation au mal, y étant obligé, plus ou moins vrai, plus ou moins faux
Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/534
Apparence