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pas ? dit-il aux obligés qui réclament du temps. Eh bien ! que, moi, je les aie demain, ou ce sera douze cents. » A peine son escarcelle est-elle remplie qu’il s’en va jouer aux dés avec son compagnon de fêle, Virginio Orsini, jusque sur les autels de Saint-Jean-de-Latran, ou dans la sacristie, à califourchon sur une châsse. Il abusa tant à la fin, soit à Rome, soit en Romagne, que de bons bourgeois de Forli, parmi les meilleures familles, se mirent d’accord ; « Meglio cite noi le facciamo a lui, che lui a noi, mieux vaut le lui faire, qu’il ne nous le fasse, » et résolurent de s’en débarrasser, ce qu’ils exécutèrent. Il finit mal, et, à en juger selon les règles du machiavélisme, par sa faute : bon machiavéliste, en ce qu’il sut à la fois punir et pardonner, montrer de la sévérité et de la clémence ; mauvais, en ce qu’il commit ses cruautés non seulement au commencement de son règne, mais pendant tout son règne, et qu’il alla en les redoublant ; mauvais encore en ce que, malgré des intermittences, des accès ou des feintes de vertu publique et privée, il eut trop de vices, et de ces vices qui font perdre au prince son État. — Mais « déjà Tacite est né dans l’Empire ; » je veux dire que déjà Machiavel est là qui observe, s’il est permis de comparer à l’historien amer et ému des Césars cet homme qui ne s’émeut jamais, qui ne s’indigne jamais, qui n’en appelle jamais à la conscience humaine, et qui ne retient que pour le mettre en formules ce qu’il voit ou ce qu’on a vu. Il mettra donc en formules les Sforza, les Riario, les Castruccio Castracani, tous les tyrans de Milan, d’Imola et de Lucques ; tous ceux de Vérone, de Padoue, de Sienne, de Rimini, de Cesena ; tous ces rejetons, toutes ces pousses vénéneuses[1], dont les terres d’Italie foisonnent :


Tra ‘l Po, e ‘l monte, e la marina,e ‘l Reno ;


« ces rustres, devenus des Marcellus, en se faisant chefs de partis[2] ; » ce forgeron de Bologne, Lambertaccio, qui faillit s’emparer de la seigneurie ; ce Bernardin di Fosco, de Faenza ; « noble rameau d’un ignoble chiendenl ; » tous ces aventuriers

  1. Che dentro a questi termini è ripieno
    Di venenosi sterpi
    ( Purgatorio, XIV.)
  2. Che le terre d’Italia tulle piene
    Son di tiranni ; e un Marcel direnta
    Ogni villan, che parteggiando viene.
    (Purgatorio, VI.)