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pas sans rapport avec la forme concentrée de la πολις (polis). Certes, cela peut et doit être rattaché à la géographie humaine. Mais par quels fils psychologiques ténus et subtils tout ce que nous avons appelé « géographie sociale » et « géographie historique » se relie, quoique bien réellement, aux données essentielles de la géographie humaine ! Voilà en définitive pour quelle raison de fait on ne saurait trop renouveler ces appels constans à la mesure et ces conseils de rigoureuse prudence critique, que nous avons déjà formulés.

La grande mine de charbon est un fait de géographie humaine d’un autre type. Ce monde souterrain, composé de centaines de mètres de puits, de kilomètres de « galeries, » de centaines de « tailles, » est un immense atelier dont les conditions matérielles très spéciales doivent être d’abord analysées. Puis en voici quelques traits physionomiques : cet atelier, au moment du travail, — et le travail y est le plus souvent continu — est comme une grande cité, mais une cité sans aucune demeure humaine permanente, et une cité muette et noire. Ce qui frappe d’abord, c’est en effet le silence dans les galeries sombres ; même tout près des chantiers de travail, tout près des « tailles » on entend les coups de pic, mais pas un éclat de voix ; l’ombre noire semble rendre l’homme muet ; le mineur au fond de la mine ne parle guère ; et d’ailleurs ces grandes masses écrasantes, à peine percées de petits couloirs, étouffent tous les bruits. De loin en loin une lampe révèle la vie : c’est la lumière, qui est ici le signe indicateur de l’activité, lumière faible, mais abritée et sauvegardée par la toile métallique protectrice ; à toute âme dans la mine correspondent une lampe et une flamme. — Sans avoir le loisir d’expliquer ici ce qu’est la houille, ni quelle en est la répartition géologique et géographique, rappelons combien s’est multiplié ce type de mine grandiose et profonde depuis l’époque, encore toute proche de nous, où les habitans de l’Europe ont découvert l’énergie utilisable de cette roche noire qui brûle. Or la houille existait sur les mêmes emplacemens géographiques dès les origines les plus lointaines de l’histoire humaine ; cependant, pour les hommes, elle était comme n’existant pas, sa réalité physique n’était rien, tant que manquaient l’idée et l’art d’en tirer parti. Un fait d’ordre psychologique a présidé à la création et au développement de tous les phénomènes nouveaux et décisifs qui ont caractérisé la géographie humaine industrielle du