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réverbères, une formidable clameur s’élève, mêlée de sifflets et d’applaudissemens. Les « Vive Emile Ollivier ! — Vive Bancel ! » se heurtent et se combattent dans l’air ; j’étais tellement pressé que je faillis être étouffé. Enfin, un rude gaillard me soulève et me dépose entre les mains des agens postés à l’entrée des artistes. Ceux-ci d’abord refusent de me laisser pénétrer. Je me nomme et les prie d’avertir le commissaire. Il arrive dans un état d’agitation indescriptible. « Je vous demande, lui dis-je de laisser entrer mes amis qui attendent dans la rue depuis plusieurs heures, et de faire ouvrir la porte sur la place, afin que la salle se remplisse et que je puisse prendre la parole : « Prendre la parole ! s’écrie-t-il, y songez-vous ! J’ai vu le 15 mai, il n’était rien auprès. Ils ne vous laisseront pas parler. — Nous verrons, répondis-je, entrons. — Mais ils vous tueront ! — Je suis là pour cela. Entrons. » Me voyant si décidé, il donna enfin l’ordre de laisser pénétrer mes amis, ce qui amena dans la salle un élément sympathique, puis de laisser s’introduire par la grande porte tous ceux qui paieraient les cinquante centimes du prix d’entrée, et par là encore, pêle-mêle avec les ennemis, passèrent quelques amis. Le commissaire se mit auprès de moi, et nous nous avançâmes sur la scène.

La clameur qui s’éleva alors dépassa toutes celles que je venais d’essuyer, et les A bas ! mêlés d’insultes et de menaces recommencèrent. Le président du bureau, Chauny, avait tout ce qui peut imposer à la foule : une prestance martiale, une voix forte, de l’intrépidité, de la présence d’esprit. Il essaie de se faire entendre : sa voix est couverte par un tumulte inexprimable. De ce brouhaha surgit, enfin, une voix distincte : « Laissez entrer le public, au moins. — Si les portes n’ont pas été ouvertes à l’heure, répond Chauny, cela est dû à la police ; depuis deux heures nous attendons, et c’est à peine si le citoyen Ollivier a pu se frayer un passage. » De nouveaux ordres sont donnés pour hâter le mouvement d’entrée et, au bout de quelques instans, le président reprend : « L’heure s’avance, vous savez qu’aux termes de la loi, on doit fermer à onze heures. Je vous en supplie… (Interruption.) Laissez M. Emile Ollivier… (Nouvelle interruption.) Il est dix heures, nous n’avons que jusqu’à onze heures ! Permettez à M. Emile Ollivier de prendre la parole. (Non ! non ! — Oui ! oui ! ) Je donne la parole à M. Emile Ollivier. (Oui ! oui ! — Non ! non ! ) » Le tumulte est au comble.

Je me lève. A peine ai-je ouvert la bouche, une explosion de