« Mon cher Nefflzer, l’attitude hésitante du Temps, dans l’élection de la 3e circonscription de la Seine, m’oblige à me retirer du journal. C’est cette élection qui doit donner au vote de Paris sa signification ; à ce titre, j’attache une importance extrême à la nomination de Bancel ; la question est donc aussi claire pour moi qu’elle est douteuse pour vous. Je regrette infiniment, à cause de l’affection que je vous porte, ce dissentiment et la suite nécessaire qu’il entraîne ; mais le désaccord est trop grave pour me permettre de continuer ma collaboration. Je vous serre cordialement la main. »
Le Pays s’associa de son ton injurieux à cette recrudescence d’injures. Quoique plusieurs milliers d’électeurs, au Châtelet, eussent entendu mon discours, et que tous les journaux l’eussent reproduit ou commenté, Paul de Cassagnac osa écrire : « M. Emile Ollivier n’a pas pu faire entendre un mot. Les huées, les cris, les protestations ont étouffé sa voix, et le sténographe seul, assis à ses côtés, a pu récolter des paroles semées sur la pierre, et que personne n’a entendues. — Pour Bancel et Emile Ollivier, conseillait-il, billets blancs ; laissez-les se dévorer ; ils ne valent guère mieux l’un que l’autre, et ce sera pain bénit. »
Mais il y eut dans la presse impérialiste un écrivain de valeur qui, sans heurter de front les emportemens de Cassagnac, les brava en me soutenant, le rédacteur en chef du Constitutionnel, Robert Mitchell, une des célébrités les plus loyales du journalisme de son temps. De haute taille, les épaules larges, le visage d’une vigoureuse régularité, sa personne comme son esprit étaient charme, distinction, clarté, et respiraient la vaillance et la générosité. Il avait autant de dard que Prévost-Paradol et plus de belle humeur : c’est d’une main légère, en se jouant, qu’il transperçait l’enflure démocratique, dégageant sans aucun fracas, en des formules d’une saisissante limpidité, le trait essentiel d’un caractère, d’une situation, d’une idée. Son talent inspirait l’estime, son caractère la sympathie ou l’affection. Il aimait la liberté, convaincu que loin d’affaiblir l’Empire, elle lui ajoutait une sécurité, et c’est dans cette persuasion qu’il me défendit sans faiblir un instant.
Toutefois, le concours le plus passionné et le plus efficace me vint encore d’Emile de Girardin. Dans son journal comme dans la rue, il demeura mon auxiliaire le plus infatigable, démasqua les impostures, réfuta les sophismes, dénonça les lâchetés, flétrit les provocations ; et, finalement, écœuré par le spectacle des injustices