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avec beaucoup de justesse l’assimilation morale des indigènes aux Européens et l’assimilation matérielle, écrit : « La région de Jemmapes, que je parcours depuis dix ans, offre, comme beaucoup d’autres, de nombreux exemples de cette assimilation (matérielle), et il existe ici des Arabes, plus ou moins favorisés par la fortune, qui, en présence des résultats obtenus par les colons européens, ont adopté leurs modes et instrumens de culture ; ils ont également fait construire des habitations relativement confortables et se sont même procuré des véhicules modernes pour voyager ou transporter leurs produits. Ces individus sont bien, sous ce rapport, des assimilés, mais il serait superflu de se donner la peine de démontrer que l’intérêt et le bien-être personnel ont seuls été le mobile de cette assimilation. » L’auteur veut dire qu’il n’en faut pas conclure à l’assimilation morale et que l’âme et la conscience musulmanes restent intactes ; il est, sur ce point, en contradiction avec M. Ismaël Hamet.

La Kabylie n’échappe pas, malgré l’obstacle de ses montagnes, à une certaine influence de la technique européenne, si ce n’est pour les labours, du moins pour les soins aux arbres fruitiers et l’amélioration de leur culture : olivier, figuier, caroubier. Il y a là une population éprise du sol : un adjoint administrateur de la province de Constantine écrit, peut-être avec quelque exagération : « Les neuf dixièmes des terres, séquestrées après 1871 et données à la colonisation de la vallée de la Soumman ont été rachetés par les Kabyles qui y mettent un point d’honneur et rachètent parfois au-dessus de la valeur réelle. »

Les témoignages qui précèdent ont une grande importance en ce qu’ils prouvent que l’esprit indigène, kabyle ou arabe, n’est nullement, comme on l’a si souvent répété, réfractaire à l’idée de progrès. Graduellement, nos arts et nos méthodes gagnent, dans le milieu musulman, les individus les mieux doués pour l’intelligence et la volonté. Il n’en faudrait pas inférer que la masse des 4 millions et demi environ de nos sujets indigènes soit actuellement pénétrée d’admiration pour nos moyens de production et en voie de renoncer à ses routines séculaires. L’évolution d’une race demande des séries de générations. Mais, de proche en proche, l’exemple se propage : chaque génération nouvelle a moins de préventions et plus d’ouverture d’esprit. Il paraît certain que, dans un quart de siècle et surtout dans un demi-siècle, si l’administration