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horions lui vinrent des Guépinistes et des Lareintistes ! Il en est étourdi, et voudrait n’être pas venu. Il écrit à son confident, Ludovic Halévy : « Comme je serai consolé aisément, si j’échoue !… Tu n’imagines pas ce que sont les cléricaux d’ici, et le parti avancé plus sot encore. Les uns veulent qu’on leur promette d’abolir l’armée et les impôts, les autres mettent tout sous les pieds du Pape. Et quand on pense que la France en est partout là, comment être tenté de mettre la main aux affaires dans ce temps-ci ! » Cependant, il parle, on l’interrompt, puis on l’admire, puis on l’applaudit ; il se montre, il séduit ; la politique lui paraît moins laide, et il entrevoit possible, et non sans satisfaction, le succès qui l’avait effrayé : « Il y a un second tour, mon élection devient probable. » L’espérance fut courte. Et le soir du 23 mai, le maire proclama : Gaudin, 12 001 suffrages ; Guépin, 11 679 ; Lareinly, 5 208 ; Prévost-Paradol, 2 042.

Renan n’eut pas meilleure fortune auprès des paysans de Seine-et-Marne. Il leur causa un complet désenchantement. Ils s’attendaient à voir un pourfendeur de prêtres, un énergumène enragé contre l’Empereur, et n’en revenaient pas quand ils entendirent un homme doux qui leur dit, d’une voix calme et caressante, qu’après tout, l’Empereur était un brave homme et que, s’il voulait devenir libéral, il faudrait s’en accommoder, qu’il ne fallait pas non plus tourmenter les curés, que quant à lui, il n’en avait jamais connu un seul mauvais. « C’est là Renan ! dirent les fortes têtes des cabarets, nous n’en voulons pas, ce n’est qu’un clérical. A la bonne heure, Jouvencel ; celui-là parle clair et fort, il ne ménage ni les cagots ni le coup d’État. » Et Renan n’obtint pas plus de succès que Prévost-Paradol. Il a raconté en termes d’une raillerie légèrement amère les observations recueillies pendant sa campagne : « J’aurais réussi, dit-il, sans Rouher et sans mon honnêteté. Je puis assurer que je ne trouvai pas sur mon chemin un seul élément de l’ancienne vie militaire du pays. Un gouvernement à bon marché peu imposant, peu gênant, un honnête désir de liberté, une grande soif d’égalité, une totale indifférence à la gloire du pays, la volonté arrêtée de ne faire aucun sacrifice à des intérêts non palpables, voilà ce qui me parut l’esprit du paysan dans la partie de la France où le paysan est, comme on dit, plus avancé. »