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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/704

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que très haute dans les panneaux de M. Henri Martin, n’attire l’œil sur aucun point particulier : les sonorités chantent également partout, et la gamme des valeurs, beaucoup moins étendue, n’offre aucune dissonnance, aucune violence dans aucune partie des panneaux. Il n’y a, nulle part, de trouée ni de relief, mais partout, à une distance égale, un fond semblable, une atmosphère d’air, de lumière, qui enveloppe le spectateur comme celle d’une belle journée d’été. En effet, c’est l’été, du moins dans le panneau central. Il faut entrer par la salle en rotonde, la salle XV. On s’avance ainsi à la rencontre des Faucheurs. De loin, il semble que la salle soit toute traversée par de grandes hachures de soleil. Droits dans cette lumière, des peupliers s’échelonnent d’un bout à l’autre de la prairie ; leurs longues ombres se renversent sur l’herbe épaisse, et, marchant en ligne, les faucheurs courbent leur silhouette ombrée, portant à peine au bord de leur chapeau un liséré de soleil. Ils sont tous au bout du geste qui a tranché les tiges, leurs faulx ramenées à leur gauche, le fer embarrassé et disparu sous les paquets d’herbe coupée, aussi rythmés dans leur marche que le sont, dans leur danse, les enfans qui commencent une ronde en se tenant par le bout des doigts.

On éprouve, dans sa plus grande intensité, l’impression d’une chaude journée finissante, lorsque le soleil, s’abaissant derrière les coteaux violacés, enflamme de ses rayons obliques la parure la plus riche que la terre puisse porter. En cette saison, qui n’est pas encore celle de la cueillette, mais qui est déjà celle de la récolte, tout travail semble un jeu, toute peine est récompensée. La terre a enfin livré son secret, gardé pendant les jours de brouillard et les longues nuits d’hiver. Le poids de la journée s’allège et nul ne s’étonne de voir les robes claires des enfans palpiter, comme d’immenses ailes de papillons, dans la lumière. Mais cette heure précieuse s’écoule insensiblement et se verse, minute par minute, dans l’heure qui va suivre. Insensiblement aussi, goutte à goutte, feuille à feuille, louche par touche, les arbres, les eaux, et les ciels prennent, tour à tour, les couleurs du printemps, de l’été et, avant l’hiver, de deux successifs automnes. Sur la trame toujours semblable de ses grandes lignes, le paysage de M. Henri Martin mue indéfiniment. Tout à la fois s’échauffe et se refroidit, se dresse et se recourbe, naît timidement, s’épanouit et se dessèche : les arbres, les herbes, les troupeaux et les âmes. Les hautes tiges des