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d’un bout à l’autre de la décoration, se résolve partout en une même harmonie.

Ainsi, moins organique, moins passionné, moins contrasté que l’art pur, on voit que l’art décoratif est, en définitive, moins vivant ou qu’il vit d’une vie moins ardente. Que ce soit une raison de le mettre plus ou moins haut dans la hiérarchie des beaux-arts, c’est, là, une question toute théorique. Mais, pratiquement, c’en est une tout à fait décisive pour s’y interdire des recherches trop réalistes et pour proscrire tout trompe-l’œil. Si, dans un tableau, il peut y avoir, jusqu’à un certain point, imitation de la nature, dans une décoration on est fatalement conduit à une transposition de la nature. L’artiste qui fait un tableau lutte avec plus d’avantage sur le terrain de l’imitation, parce qu’il lutte sur un terrain beaucoup plus circonscrit. Il prend un petit coin de ce qu’il voit, l’encadre dans un cercle ou un carré d’or qui l’isole et dans ce coin, choisi par lui, peut s’efforcer de créer une illusion. Le décorateur, se mouvant dans le contact des portes, des fenêtres, des frises, ne peut y prétendre. Il ne peut arranger les choses autour de sa peinture comme un cadre, puisqu’il faut qu’il arrange sa peinture autour des choses, sur les choses, en communion avec les choses et qu’elle enveloppe le cadre au lieu d’en être enveloppée.

Enfin, au lieu que nous la puissions envelopper toute d’un regard, elle nous enveloppe nous-mêmes. Elle nous entoure comme un paysage ou une foule. De quelque côté que nous nous tournions, nous la sentons présente. Il faut donc, aussi, que nous la sentions bienfaisante et favorable à nos pensées. Le mieux serait que nous puissions les y loger toutes, tour à tour, comme nous le faisons, dans un paysage aux lignes calmes, ou, en des figures lointaines, silencieuses et discrètes. C’est pour l’avoir compris que fut si grand, malgré ses défauts, Puvis de Chavannes.

Ici, dans les quatre panneaux décoratifs de MM. Henri Martin et René Ménard, toutes les lois que nous avons observées se vérifient. Les longues lignes sont toutes horizontales ; les différens plans se superposent d’un bout à l’autre des compositions sans ligne fuyante qui les réunissent ; les figures dispersées à peu près également et les motifs d’intérêt également distribués permettent à l’attention de se fixer partout avec la même force. Les attitudes sont simples, les gestes aisés et quoi que fassent les groupes, le même rythme semble les animer. La gamme des couleurs, bien