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Et cependant, c’est là une fort belle page décorative. Elle remplira son rôle, au Capitole de Toulouse, aussi bien que les Faucheurs qui, considérés comme tableau, paraissent infiniment supérieurs. Car elle ne détruira pas l’harmonie des grandes lignes de l’édifice ; elle affermira la sensation de calme et de stabilité par l’insistance horizontale de toutes ses masses principales. Par ses figures errantes le long du fleuve, selon un même rythme, simples et silencieuses, rien ne sera troublé. Il y a un fort contraste entre les couleurs du premier plan et celles du dernier, mais comme ce contraste est le même sur toute l’étendue peinte, il n’y a nulle part un trou, ni un éclat. Il y a opposition de couleurs entre les panneaux en hauteur : le Pont de l’Église, du côté où règne le crépuscule, et l’Apparition au peintre du côté où luit le matin, mais cette opposition entre les couleurs est ménagée par une transition fort longue et l’opposition entre les valeurs est presque nulle. Il est douteux que, depuis Puvis de Chavannes, on ait vu paraître un aussi bel ensemble décoratif.

On pensera la même chose, à la Sorbonne, en face des panneaux de M. René Ménard, le Temple et le Golfe en ce moment avenue d’Antin. Rien n’est plus éloigné, en apparence, des panneaux de M. Henri Martin. Ici, nulle figure, pas de soleil, pas de verdure, pas de couleurs vives, aucune joie de vivre ; mais des montagnes descendant lentement vers la mer, pâle tapis déchiqueté par les dents des sombres promontoires ; de gros nuages, roulés en cumulus, traînant leur poche, lourde de pluie et de grêle, sur la plate étendue des eaux ; et, posée sur tout cela, comme une grille, au premier plan, une colonnade toute droite parmi les restes écroulés d’un temple, rayant de ses lignes verticales et géométriques, les ondulations irrégulières et la masse oblique des rochers. Que ce soit là un souvenir des ruines d’Egine, ou non, peu importe : ce qu’on éprouve, c’est l’impression même du temple en ruines, la beauté tragique de ces colonnes abandonnées, qui ne protègent plus aucun front, qui ne jettent plus autour d’elles aucune ombre sainte, qui n’excitent plus aucune envie, — tout étonnées de demeurer debout encore quand tout ce qu’elles soutenaient a disparu, et de ne plus demeurer, dans l’écroulement de ce qui fut leur fardeau et leur gloire et leur raison d’être, que l’indice d’un plan humain parmi les travaux irréguliers de la nature et le signe qu’un Dieu a été servi là…