Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


III

Le sentiment décoratif est, enfin, la qualité qui rend précieux aux salons de 1906 les objets d’art appliqué. Ils sont, de matière et de travail, en tout semblables à ceux des années passées. Ni en céramique, ni en verrerie, ni dans les arts du bois ou du fer, ou des métaux rares on n’a fait de nouvelles conquêtes de matière ou de couleur ou de « tour de main » comparables à celles qui marquèrent, de tant de cailloux blancs, la route suivie par les potiers, les verriers et les orfèvres à la fin du XIXe siècle. Les « flammés » remontent à 1877 ; les « lustres métalliques » sont presque aussi anciens ; les premières ce cristallisations » n’ont pas moins de vingt et un ans d’âge et les « marqueteries de verre » de Gallé ou les pûtes de verre de M. Dammouse, si elles étonnaient jadis par leur nouveauté, n’éveillent plus aujourd’hui aucune surprise. Nous avons tant vécu au milieu de ces prodiges qu’ils nous semblent tout naturels. Mais à défaut de surprise, nous éprouvons un charme plus sûr. Car les artistes, un moment éblouis et grisés par les découvertes de la chimie, n’avaient pas toujours aperçu très clairement les frontières de leur art, ni tâté du pied le terrain où la science leur persuadait de s’aventurer. Depuis quelques années, ils ont mieux pris conscience de leur rôle. Ils ont vu que le pouvoir de tout faire, en céramique par exemple, ou en joaillerie, ne leur conférait pas le droit de faire tout ; que, quelle que soit la richesse de la palette qu’on manie, il faut souvent ménager les couleurs, quand ce n’est plus par dénuement, du moins par sobriété ; et que, si malléable que soient devenus le fer, l’acier ou les bois mis sous la main de l’ébéniste, aujourd’hui, comme hier, la fin suprême de l’art décoratif est, non la nouveauté, mais le charme discret et l’utile beauté.

D’un bout à l’autre des salons, ce sentiment l’emporte. On compterait les objets où subsiste quelque vestige des floraisons serpentines qui envahirent les expositions de Paris en 1900 et de Turin en 1902. Les tronçons coupés du modern-style ne s’agitent plus dans les vitrines, et l’on peut, sans crainte de frôlemens tentaculaires, s’aventurer dans la salle basse qui donne sur l’avenue d’Antin ou sur les balcons qui entourent le hall des Champs-Elysées.

Avenue d’Antin, toute heure est favorable pour cette visite. Mais si l’on veut voir vivre les pûtes de verre de M. Dammouse,