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fond verdâtre (N° 6) est un des chefs-d’œuvre de cet art fragile. Et quand on parvient tout au bout du balcon, du côté du Nord, on aperçoit dans une grande vitrine, venue de Copenhague, un essai de porcelaine cloisonnée peu lente jusqu’ici. Ces pièces d’une facture toute nouvelle, éclatantes dans leur armature d’argent ou d’or, parées, comme de gigantesques scarabées des admirables couleurs du grand feu, — le bleu, le vert, le rouge, le brun — sont dues à la collaboration du céramiste et de l’orfèvre. Elles sont signées des noms de deux artistes danois très connus : Mme Drewes-Koloed et M. Harold-Junel. Après les innombrables trouvailles des peintres de la porcelaine, il paraissait impossible de renouveler sa décoration. C’est aux compatriotes de la fameuse manufacture royale, sinon à elle-même, que cette chance était réservée.

Ainsi, quand on a fait le tour des salles consacrées à l’art et aux objets de la décoration intérieure, on est assuré que l’intérieur d’une maison moderne peut-cire nouvellement et magnifiquement décoré. Mais que sera celle maison moderne ? Où peut-on en voir un plan qui vous lente de la construire, une réalisation ou seulement une promesse ? Et si on ne peut les voir nulle part, à quoi nous servira tout le reste ? On nous a répété, sur tous les tons, qu’il n’y a pas de hiérarchie dans les arts et que


La mietto de Cellini
Vaut le bloc de Michel-Ange.


Elle le vaut, soit. Mais elle ne le remplace point. Or, il faut bien le dire : nous n’avons que des miellés d’art décoratif, que des détails, des ornemens de la dernière heure. Nous n’avons pas encore les fondations qui les rendent utiles et désirables. C’est un signe de notre temps, en art comme en d’autres choses plus pressantes de la vie, que de vaquer d’abord aux détails, aux menus ornemens, sans se soucier de ce qui permet au reste de se tenir debout et de durer. Le mouvement d’art décoratif a commencé par des cornets à mettre sur les étagères, par des bagues à mettre au doigt. C’est peut-être, là, le premier acte de la fondation d’une maison, d’un foyer, mais ce n’est pas le foyer encore. Voici, à la vérité, des derniers enchantemens dont peut se parer une demeure : tapisseries de Morris, verres de Gallé, porcelaines de Chaplet, émaux de Thesmar ou de Dammouse. Tout est prêt de ce qui peut embellir la maison moderne. Il ne reste qu’à la bâtir.


ROBERT DE LA SIZERANNE.