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promulguer, sous le nom de « lois fondamentales, » un certain nombre de dispositions destinées à prévenir rassemblée sur le terrain constitutionnel, à occuper ce terrain, à lui en rendre l’accès plus difficile. Il est douteux que ces deux mesures aient été habiles ; mais la première a pu être considérée comme nécessaire à cause des divisions qui existaient entre MM. Witte et Dournovo, des tendances diverses, sinon opposées, qu’ils représentaient, et de l’embarras où on était de choisir entre elles, puisque l’une et l’autre avaient pu avoir alternativement leur utilité. M. Witte conservera le mérite d’avoir voulu sincèrement et fortement la Douma : c’est à l’Empereur et à lui qu’elle est due. Mais son autorité personnelle s’était usée contre les résistances qu’il avait eues à vaincre ; elle ne se serait pas retrouvée intacte devant l’assemblée. Quant à M. Dournovo, ministre de l’intérieur, on le regardait volontiers dans certains cercles de la cour comme le sauveur de l’Empire. Il avait réprimé, par des moyens effroyables, les commencemens d’insurrection qui s’étaient produits à Moscou et sur d’autres points du territoire. Ses procédés avaient été ceux de l’ancien régime, sans modification, sans atténuation. Comment aurait-il pu comparaître devant une assemblée du sein de laquelle le premier cri qui devait s’élever demanderait certainement l’amnistie ? On a donc sacrifié à la fois M. Witte et M. Dournovo ; on a renouvelé le gouvernement tout entier, sans même excepter le ministre des affaires étrangères dont le maintien se serait facilement justifié par des considérations indépendantes de la politique intérieure. M. le comte Lamsdorf a été remplacé par un homme qui marchera dans les mêmes voies que lui et qui mérite toute confiance : nous ne pouvons cependant pas laisser disparaître le ministre d’hier sans constater la sympathie qu’il avait inspirée au corps diplomatique. Le ministère Witte une fois parti, il fallait le remplacer. La logique aurait conseillé de lui donner pour successeur un ministère qui aurait pu avoir tout de suite quelque influence sur la Douma. On aurait trouvé sans trop de peine des hommes issus des assemblées locales, y ayant joué un rôle et dont le nom aurait eu une signification politique déterminée. Rien de tel avec le ministère Goremykine. C’est un ministère de fonctionnaires comme ceux qui l’ont précédé, et ce n’est pas de sa composition qu’il tirera son prestige et son autorité, s’il en a. Mais n’insistons pas sur cette remarque. On a pu croire qu’aucun homme ne s’était encore signalé à l’opinion par l’éclat de ses services, par son éloquence, par son action parlementaire, et qu’un ministère neutre, incolore, provisoire, était le seul qui correspondît à une situation