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en train d’évoluer. Le ministère Goromykine est un jeton perdu d’avance.

La cérémonie d’ouverture de la Douma a eu lieu dans un cadre imposant. L’Empereur est venu à Saint-Pétersbourg pour la présider. Il est arrivé par la Neva, entouré de précautions qui montraient l’inquiétude des esprits, mais calme, maître de lui et résolu. Ce sont les qualités qui apparaissent dans le discours dont il a donné lecture d’une voix ferme. Il y a peu de chose à dire de ce discours, sinon qu’il a été ce qu’il devait être. L’Empereur n’est pas sorti et ne pouvait pas sortir des généralités ; mais il a témoigné de la confiance dans l’assemblée, il a fait appel à sa collaboration, il n’a pas employé le mot d’autocratie qu’il avait intentionnellement placé dans toutes ses manifestations antérieures. La phrase la plus caractéristique du discours, la seule peut-être qui l’ait été, est celle où l’Empereur a parlé des paysans, et de la nécessité de développer leur bien-être et leur instruction. Dans la pensée du souverain comme dans celle de tout le monde, la question agraire apparaît comme une des plus importantes et aussi des plus redoutables que la Douma aura à agiter et à résoudre. L’allusion était discrète, mais nette. Elle a été parfaitement saisie.

Nous avons déjà parlé à plusieurs reprises de la question agraire en Russie ; elle mériterait une étude développée qui n’entrerait pas dans le cadre restreint de notre chronique ; mais, avant d’aller plus loin, il convient d’en signaler une fois de plus l’importance exceptionnelle. Elle s’est encore accrue, s’il est possible, par la composition de la Douma. La loi électorale d’où l’assemblée est sortio, une des plus compliquées qui ait jamais existé, a été combinée de manière à donner aux paysans une représentation considérable. On comptait sur leur loyalisme envers l’Empereur et sur la simplicité de leurs aspirations, tournées tout entières du côté de la possession de la terre, pour en faire, dans les questions politiques, un élément modérateur et conservateur. Lorsque les élections seront terminées, — car elles ne le sont pas encore ; on en fait tous les jours, — il y aura plus de deux cent » paysans dans la Douma. Il était à prévoir qu’un groupe aussi nombreux, s’il restait uni et prenait conscience de sa force, ferait pencher comme il voudrait la balance de la majorité. Ces paysans sont de vrais paysans, sans instruction mais non pas sans finesse, à côté desquels les nôtres peuvent passer pour des intellectuels, mais qui, s’ils n’ont qu’une idée, y tiennent solidement et ne la perdent pas un instant de vue. Ils ont compris très vite que tout le monde avait besoin d’eux, et se sont promis d’user de cet avantage.