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voulait et ne le déguisait pas. Renverser les obstacles traditionnels opposés au progrès et à la liberté par toute monarchie, créer une république était le but de leur opposition, constitutionnelle tout juste assez pour n’être pas mise hors la loi. Malgré son activité et son éclat, ce parti était peu nombreux et il était combattu par deux autres factions également opposées au cléricalisme et aux scandales du gouvernement d’Isabelle, mais l’une et l’autre monarchiques : le parti de l’Union libérale et le parti progressiste. Le premier n’était guère plus nombreux que les républicains ; il comptait quelques hommes d’État considérables tels que Rios, mais il était surtout puissant par les généraux O’Donnell, Serrano, Dulce et, par eux, il avait une action considérable dans l’armée. Le parti progressiste, beaucoup plus nombreux, avait pour chef honorifique Espartero ; son libéralisme dépassait si fort celui de l’Union libérale que, par bien des points, il eût pu se confondre avec les démocrates, s’il n’en avait été séparé par son attachement au principe monarchique et à la dynastie. Grâce à cette mésintelligence des partis, d’accord seulement pour critiquer et non pour s’entendre dans une action concertée, Isabelle, peu respectée, sans aucun appui sérieux dans le pays, continuait à maintenir son mauvais gouvernement.

Il en fut ainsi jusqu’au jour où intervint dans l’action un personnage qui précipita les événemens vers les solutions décisives : le maréchal Prim. Chez ce personnage, les formes chevaleresques n’étaient qu’un raffinement de l’intrigue[1]. Il se complaisait aux attitudes de statue équestre ; il était de bronze en effet, toutefois d’un bronze toujours en fusion, prêt à se couler dans tous les moules. Ignare, cupide, vénal, audacieux, mais intelligent, habile à juger une situation et à se l’assimiler, ayant le don d’entraîner et de se créer des partisans enthousiastes. Le succès avait développé à la fois les ressources de son esprit et les facilités de sa conscience. « Les partis ne sont rien pour lui, il les dissout ; les engagemens ne l’ont jamais incommodé, il les oublie[2], » disait Castelar. Il avait combattu à peu près tous les pouvoirs. La Reine l’avait gracié en 1845 de sa condamnation à six ans de réclusion ; elle l’avait encore défendu à son retour du Mexique. Lorsqu’il

  1. Empire libéral, t. V, p. 248.
  2. Discours du 3 novembre 1870.