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demanda à Serrano, gouverneur militaire de Cuba, et à Del Mazo, gouverneur civil de la Havane, de lui envoyer des navires pour rapatrier les troupes espagnoles, ceux-ci refusèrent d’abandonner ainsi les soldats français ; mais Del Mazo, s’étant rendu à Madrid, afin de justifier ce refus, apprit avec étonnement que Serrano n’y avait pas persisté et que Prim regagnait l’Espagne. Les ministres, très mécontens de son retour, voulaient proposer des mesures contre lui. La Reine s’y opposa : « Si on ne lui avait pas fourni les navires, dit-elle, c’est à la nage qu’il aurait dû partir. » Prim fut donc reçu à merveille[1]. La Reine comptait sur son dévouement. Elle ne tarda pas à s’apercevoir qu’il n’était dévoué qu’à lui-même. Convaincu que Dieu l’avait créé pour gouverner l’Espagne, peu lui importaient les moyens : constitutionnellement, si Isabelle se rangeait sous sa direction, révolutionnairement si elle le repoussait, avec les progressistes s’ils l’acceptaient pour chef, sans eux s’ils se refusaient à le suivre. La force qu’il recherchait c’était la popularité dans le peuple et dans l’armée ; toutefois, comme il entendait se servir surtout de l’armée, il n’allait pas, dans le jargon populaire, jusqu’à ce qui pouvait l’indisposer : il prononçait à pleine bouche, les mots de liberté, progrès, souveraineté nationale ; mais il ne parlait pas de la république parce que cela lui eût aliéné les généraux peu républicains. Il inaugura son action modestement au Sénat en se contentant de réclamer des élections libres, persuadé qu’elles lui assureraient le pouvoir. Isabelle et son ministre Arazola acceptèrent ce programme, mais la camarilla, le roi et le confesseur l’en détournèrent. Elle renvoya Arazola et le remplaça par Mon, hostile aux désirs de Prim. Celui-ci se fâcha : « Puisque vous ne voulez pas d’élections libres, nous allons vous enlever les électeurs, et ceux de nous qui sont députés ou sénateurs ne paraîtront plus dans vos assemblées ; ils assisteront en spectateurs narquois au développement des fautes sous lesquelles vous succomberez. » C’est ce qu’on a appelé le retraimiento. Ce n’était pas encore la révolution, puisque le but avoué de cette pratique était d’amener la royauté à capituler, et non de la renverser.

Loin de capituler, la royauté sévit ; les journaux furent frappés ; des généraux, parmi lesquels se trouvait Prim, furent exilés de

  1. Récit que je tiens de del Mazo.