Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/762

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courir des chances aussi périlleuses[1]. » On ne s’occupa plus à Paris de la candidature Hohenzollern.

Quoiqu’ils n’eussent pas de roi, unionistes et progressistes n’en persistèrent pas moins à proclamer la royauté. Dans la nuit du 20 au 21 mai, elle fut adoptée en principe par 214 voix contre 71, et l’ensemble de la Constitution fut voté le 1er juin. Il aurait pu l’être la veille, mais c’était un mardi, jour néfaste en Espagne, et on avait remis au lendemain. Cette royauté sans roi menaçait de tomber dans le ridicule ou dans la république. Olozaga, qui voulait aussi ! peu de la république que de Montpensier, proposa l’expédient d’une régence avec Serrano. Celui-ci eût souhaité au moins en partager la responsabilité avec Prim et Rivero. « Il n’y a qu’un pouvoir stable, disait-il à Mercier, qui puisse avoir de l’autorité ! Voyez ce qui est arrivé pendant la régence de la reine Christine et d’Espartero, et cependant ces deux personnages étaient dans des conditions bien autres que moi. Christine avait occupé le trône et donné la liberté à l’Espagne ; Espartero avait mis fin à la guerre civile. Pourtant, les soulèvemens contre leur pouvoir n’ont cessé qu’avec leur chute. Avant trois mois, je ne serai plus qu’une guenille (un trapo). »

Olozaga obtint, par un beau discours, l’adhésion des Cortès : Serrano fut nommé régent, par 193 voix contre 45, avec toutes les attributions constitutionnelles de la royauté, sauf celle de suspendre ou de dissoudre les Cortès. Et Olozaga, ayant terminé, sa tâche, s’en retourna à Paris. Prim prit la présidence du Conseil et le portefeuille de la Guerre. Il avait la réalité du pouvoir, Serrano l’apparence. Or, voici comment Guerrero, son ami le plus intime, définit les sentimens véritables de ce maître des destinées de l’Espagne : « Il attache beaucoup de prix à être et à rester en bonne intelligence avec la France, mais il en attache dix fois plus à demeurer en termes amicaux avec la Prusse.[2]. »


EMILE OLLIVIER.

  1. Mercier à La Valette, 9 mai 1869.
  2. Bernhardi, Mémoires.