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Russie était appelée, grâce à l’Obchtchina et à l’Artèle, à la communauté des champs et à la coopérative industrielle, à réaliser, sans effort, une fois affranchie du christianisme et du tsarisme, le rêve de Proudhon, une fédération de communes agricoles, passant de la copropriété à la coproduction. Ces idées étaient dangereuses à répandre pour ceux qui restaient en Russie. Bakounine, officier démissionnaire, se rendait en 1841 à Berlin, puis en 1843 à Paris, alors en pleine effervescence socialiste. Après avoir éprouvé les rigueurs de la police, Herzen obtint, en 1847, la permission de voyager à l’étranger.

La Révolution de 1848 en France, en Allemagne et en Autriche, amenait à Pétersbourg un redoublement de mesures réactionnaires. Les cercles d’études parurent un péril. Une de ces petites sociétés, analogue à celles de Moscou, qui se réunissait chez Petrachevski, fonctionnaire des affaires étrangères, fut dénoncée à la police et, en avril 1849, ses membres, au nombre d’une cinquantaine, étaient arrêtés. Trente-trois des accusés furent condamnés à mort. Le crime de Petrachevski, adepte de Fourier, et celui de ses complices, c’était de vouloir réaliser l’émancipation des paysans par l’initiative du gouvernement, ou par d’autres moyens, si le gouvernement résistait. Ils étaient déjà alignés au champ du supplice, et prêts à être exécutés, lorsqu’arriva l’ordre impérial qui commuait leur peine en travaux forcés. Parmi eux se trouvait Dostoïevski, converti depuis au slavophilisme chrétien le plus conservateur, et qui se montrera, dans son journal, très hostile à Herzen.

La guerre de Crimée délivra la Russie de Nicolas et de son absolutisme. La défaite de Sébastopol (1855), le Iéna russe, révéla les plus crians abus dans l’administration de l’armée. C’était la condamnation du régime bureaucratique et la preuve éclatante de la supériorité de l’Occident. Bientôt va s’ouvrir, avec Alexandre II, Père des grandes réformes. Le nouveau Tsar accomplit tout d’abord en Russie l’œuvre de la Révolution en France et de Stein en Allemagne, l’émancipation des paysans.

La propagande des émigrés n’a pas été sans exercer une influence sur ces réformes. Herzen, fils naturel d’une Allemande et d’un seigneur russe, et qui avait reçu, à la veille de quitter la Russie, un riche héritage, s’était fixé à Londres et y avait établi, en 1851, une imprimerie. L’autocratisme de Nicolas le jetait à