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carrières libérales et agrandit les cadres d’une démocratie bourgeoise.

Le développement capitaliste crée, d’autre part, le prolétariat industriel indispensable à la production et à l’accumulation des richesses, obligé, pour défendre contre la bourgeoisie ses intérêts économiques, d’arracher à l’autocratie des droits politiques, jusqu’à ce qu’il devienne assez puissant pour briser tous les obstacles qui s’opposent à son émancipation.

La transformation des moyens de production est donc appelée à bouleverser les fondemens économiques et sociaux du tsarisme, en rapprochant l’État des formes de la vie occidentale. Loin de maudire, comme les populistes, l’avènement du capitalisme, parce qu’en fortifiant la bourgeoisie il retarde la Révolution, les marxistes bénissent le capitalisme qui travaille au contraire pour la révolution en transformant le moujik apathique et dévot en ouvrier rebelle. La bourgeoisie s’enrichit en prolétarisant les masses ; elle accroît chaque jour l’armée de ses fossoyeurs. Plus elle s’enrichira, plus l’expropriation sera fructueuse.

Dès lors, la tactique socialiste est toute tracée. Le rôle des intellectuels doit se borner à donner à la classe ouvrière conscience de cette évolution, à lui faire comprendre l’irréductible antagonisme de ses intérêts en face de ceux de l’autocratie et de la classe capitaliste, à lui inculquer en un mot la notion de la lutte de classe économique et politique, économique contre les patrons, afin d’obtenir, avec moins de travail, de meilleurs salaires, — politique contre l’État pour la protection du travail, la liberté d’action et le droit de vote.

Telles étaient les idées qu’enseignaient, de l’étranger, à la nouvelle génération, à partir de 1883, Plekhanof, Axelrod, Vera Zassoulilch. Rapporteur au Congrès international de Paris en 1889, Plekhanof résumait en ces termes les idées que nous venons d’exposer :


« Le vieux système économique est ébranlé. La communauté agraire que les précédens socialistes ont célébrée, et qui est maintenant un des appuis de l’absolutisme russe, devient entre les mains de la bourgeoisie de plus en plus un moyen d’exploitation du paysan. Les pauvres émigrent dans les villes et, les centres industriels. La fabrique russe ruine l’industrie à domicile, jadis florissante. Le gouvernement se voit, à cause des besoins du Trésor, forcé de protéger la production capitaliste