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soumission ; l’Angleterre sera-t-elle capable d’envoyer à cette distance cent ou deux cent mille hommes, pour les maintenir ses sujets ? N’est-il pas à penser que des ennemis de l’Angleterre, en force, viendront en aide à ces insurgés ? — Et en effet, vingt-deux ans à peine après la chute du Canada, les États-Unis se constituaient, grâce au concours de la France ; les Canadiens, surveillés par les garnisons anglaises, ne bougèrent pas. Ils ont su, par contre, imposer au vainqueur le respect de leur langue et de leur religion, qui sont les deux élémens essentiels de leur nationalité ; ils se sont si bien multipliés, ils restent si fortement unis, que, dans le grand Dominion canadien d’aujourd’hui, malgré les efforts longtemps soutenus d’une émigration anglaise intense, ils sont devenus les collaborateurs indispensables des conquérans.

En face des ambitions de la puissante République voisine, les Canadiens français seront les derniers champions de la suprématie britannique dans une partie de l’Amérique du Nord ; car ils savent qu’ils seraient noyés dans l’Union Américaine, tandis que dans le Canada tel qu’il est, colonie en droit, république autonome en fait, un avenir indépendant leur appartient ; si, dans la crise du XVIIIe siècle, la semence française jetée là-bas faillit être étouffée, elle a depuis lancé vers le ciel de magnifiques rejetons. Sans récriminer contre des faits accomplis, sans rêver de retours impossibles et même peu désirables, on peut hardiment affirmer qu’il subsiste, là-bas, quelque chose de nous. Cent cinquante ans après la mort de Montcalm et de Wolfe, le Canada demeure une des réserves précieuses de la race française dans le monde.


HENRI LORIN.