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propriété. Il n’y a qu’une idée par où ils se séparent des républicains, la royauté héréditaire. Ils doivent y renoncer ; mais que, de leur côté, les républicains amis de l’ordre renoncent à s’appuyer sur les démocrates et n’accordent les seuls droits politiques qu’à la propriété. C’est en dehors de leur parti que ces républicains peuvent recruter d’utiles alliés. La République a besoin de citoyens purs, dont les mains ne soient point souillées du sang des victimes. « Depuis que la République est proclamée, tant de juges, d’assassins, de témoins et de bourreaux ont crié Vive la République ! que ses vrais défenseurs doivent sentir le besoin d’acquérir de nouveaux partisans. » Il faut écarter « ces coupables de trois années » qui, semblables à lady Macbeth ne peuvent effacer de leurs mains la tache sanglante[1] ; » il faut repeupler la France d’hommes distingués par leurs talens et leurs vertus : « Quel désert pour la gloire que notre malheureuse patrie !… Découvrez, rendez-nous le plaisir de l’admiration ! Il y a trop longtemps que, dans la carrière du beau, l’homme n’a étonné l’homme ; il y a trop longtemps que l’âme froissée n’éprouve plus la seule jouissance de la vertu sur cette triste terre, cet abandon complet d’enthousiasme, cette émotion intellectuelle, qui vous fait connaître, par la gloire d’un autre tout ce que vous avez vous-même des facultés pour juger et pour sentir. »

Il faut calmer et consoler[2] : C’est sur cette noble pensée que se termine l’ouvrage. L’effroi des malheurs passés, la vive appréhension de nouvelles douleurs, l’amour de la France, « cette vraie patrie des âmes passionnées, » tels sont les sentimens qui ont inspiré Mme de Staël. Plus encore qu’à son esprit, ce livre appartient à son cœur.

Il ne fut pas publié ; il était trop tard pour qu’il pût l’être[3]. Mais l’eût-il été deux mois plus tôt, qu’il n’eût rien changé à la marche fatale des événemens. Il ne suffit pas, en temps de révolution, de prêcher la concorde et la paix ; il faut compter avec les passions des hommes : l’esprit de parti, la mauvaise foi, le désir

  1. Chapitre II de la deuxième partie, p. 158.
  2. Page 170.
  3. « Quiconque écrit pour la gloire doit ajourner toute publication. Il est question d’échapper au despotisme et à l’anarchie, et entre ces deux écueils on n’a point le temps de lire. » (B. Constant a son oncle Samuel, 30 fructidor 16 septembre).