Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/98

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Isis ; mais si un chrétien, pour suivre plus fidèlement les inspirations de sa foi, change son habit, ils crieront que c’est une chose indigne. » Vers la même époque le sénateur Pammachius, gendre de sainte Paule, avait, lui aussi, tout de suite après son veuvage, pris l’habit monastique ; il avait adopté « autant d’enfans qu’à Rome il y avait de pauvres, » et saint Jérôme de s’écrier : « Qui eût jamais cru qu’un petit-fils de consuls, la gloire de la maison Furia, ferait paraître à côté de la pompe sénatoriale la bure monastique, braverait les regards de ses collègues en dignité, et se moquerait de ses moqueurs ! »

De sa retraite de Bethléem, Jérôme notait avec une sorte d’allégresse féroce les victoires de l’Église sur le monde, et les ravages répétés que faisait l’esprit monastique dans les rangs du patriciat. Conseillant à la jeune Furia de rester veuve : « On va froncer le sourcil, disait-il, lever le bras avec colère. Chrêmes irrité exhalera bien haut son courroux. Les puissans s’élèveront contre ma lettre, la troupe des patriciens tonnera. On m’appellera un charmeur, un séducteur, un homme qu’il faudrait déporter aux extrémités du monde. » Déporté volontaire à Bethléem, Jérôme, du fond de son antre d’ascétisme, semblait rugir contre les préjugés sociaux du vieux monde romain ; il mortifiait le patriciat en le décimant. Que Paulin ne fût plus un grand propriétaire, cela contristait la décence mondaine d’Ausone : « L’empire de Paulin, pleurait-il dans ses vers, est aujourd’hui dispersé entre cent maîtres ; » mais Jérôme riait, d’un rire sarcastique, lorsqu’il voyait cet effondrement volontaire des fortunes fastueuses ; et son apologie des vocations d’élite insultait aux communes grandeurs du siècle[1].

En l’année 403, ce n’était pas un couple déjà mûr, comme Paulin et sa femme ; ce n’était pas un veuf comme Pammachius, ou une veuve comme Furia, qui concertaient un de ces actes de dépouillement considérés par la classe sénatoriale comme autant de défis ; c’étaient deux jeunes mariés, presque deux enfans. « Tous

  1. L’Histoire de saint Paulin de Nole, l’Histoire de sainte Paule, la traduction des Lettres de saint Jérôme (Paris, Poussielgue), dues à l’abbé Lagrange, mort évêque de Chartres, peuvent être consultées avec fruit : antérieurs de beaucoup au renouveau de littérature ecclésiastique auquel nous avons assisté dans les quinze dernières années, ces ouvrages subsistent avec quelques autres, comme un remarquable témoignage de l’activité intellectuelle à laquelle Mgr Dupanloup donna jadis le branle, dans son diocèse d’Orléans.