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les sénateurs les blâmaient, écrit Gerontius, tous disaient qu’ils étaient des sots, de disperser de la sorte, en pleine jeunesse, tout ce qu’ils possédaient. » Les mêmes « grenouilles loquaces, » pour reprendre une expression de saint Jérôme, qui avaient assourdi de leurs insultes Blesilla, fille de sainte Paule, coupable de s’engager dans une vie ascétique, et qui avaient dit de sainte Paule elle-même qu’il faudrait lui soigner la cervelle, commençaient de s’acharner contre l’étrange ménage qui prétendait faire déchoir la gens Valeria de son rang et de son luxe.

Par surcroît, l’hostilité de la haute classe contre leur aventureux projet rencontra des complices bien imprévus, dans la masse même de leurs innombrables esclaves. Severus, frère de Pinianus, se considérait avec quelques titres comme l’héritier naturel de ces époux sans enfans ; il trouvait fort mauvais que leur somptueuse fortune s’éparpillât aux quatre coins du monde chrétien. Il chercha et trouva des accointances parmi la main-d’œuvre servile qui cultivait leurs domaines de la campagne romaine et qui, selon toute apparence, n’avait pas à se plaindre de sa destinée. Au moment où le bruit courut, parmi cette foule de travailleurs, qu’ils allaient sans doute être vendus avec les propriétés mêmes de Mélanie, une sorte d’émeute se produisit.

... « Et s’il nous plaît, à nous, de rester vos esclaves ! » objectaient ces singuliers mutins. L’office qu’on leur fit de les affranchir les trouva fort peu reconnaissans ; il semble qu’elle ne fut consentie que de quelques-uns. Tous les autres, au contraire, si Mélanie persistait à vouloir se débarrasser d’eux, exigeaient que leurs bras et leurs sueurs appartinssent désormais à Severus. Mélanie accepta leur tumultueuse réclamation et donna même trois sous d’or à chacun de ces pauvres gens, qui redoutaient, évidemment, l’indigence esseulée des prolétaires urbains, et qui d’ailleurs, par leur soulèvement même, rendaient hommage à la douceur et à la bonté de leurs illustres patrons.

Qu’il était donc difficile de devenir pauvre ! Le Sénat opposait son veto, et les esclaves opposaient le leur. Avec le second de ces vetos, encore pouvait-on s’arranger ; mais il restait le premier, et l’on devine sans peine que Severus veillait avec sollicitude à n’en point relâcher la rigueur. Pour briser les oppositions sénatoriales, il ne fallut rien de moins qu’un acte impérial. Le récit de cet épisode est presque entièrement nouveau pour l’histoire ; c’est à peu près une révélation qu’ici Gerontius nous apporte, et nous devons