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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/169

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alarmes d’autant plus vives que l’on pouvait craindre de voir l’esprit d’indépendance se répandre, de la péninsule, dans tout le domaine de la race arabe, c’est-à-dire, au Nord, jusqu’aux montagnes de l’Arménie, jusqu’à la Méditerranée à l’Ouest, et à l’Est jusqu’au plateau de l’Iran. Les habitans de la Palestine et de la Syrie, comme ceux de la Mésopotamie, qu’ils soient musulmans, catholiques, nestoriens ou orthodoxes, sont en grande majorité arabes ; mais la vie sédentaire, la promiscuité avec d’autres peuples, et surtout cinq siècles de domination turque leur ont fait perdre le sentiment d’une communauté de race et de patrie. Les Arabes du désert sont restés libres et indomptés ; les autres, ceux des villes et des vallées fertiles, ont accepté le collier de la servitude. Mais le jour où l’instinct atavique de l’indépendance viendrait à se réveiller dans leurs âmes, où 12 millions d’Arabes comprendraient qu’ils sont le nombre et qu’ils ont la force, et resserreraient entre eux des liens effectifs de solidarité, la domination turque en Asie se trouverait gravement compromise. C’est de Mésopotamie et de Syrie que le Sultan tire la meilleure partie de ses revenus en argent et de ses ressources en hommes ; c’est parmi les Arabes que se recrutent les élémens de quatre des sept corps qui composent l’armée ottomane. Si, à l’exemple des peuples balkaniques qui tendent de plus en plus à constituer des États autonomes, la nationalité arabe prenait conscience d’elle-même, de son passé et de son avenir, et réclamait le droit de se gouverner librement, l’assiette sur laquelle repose tout l’édifice de l’Empire ottoman serait menacée de ruine ; le jour où la domination turque viendrait à être compromise en Asie, ce serait fini d’elle en Europe.

Ce jour-là serait venu, s’il en fallait croire sans réserves les affirmations sensationnelles du livre publié l’année dernière, à Paris, par M. Negib-Azoury-bey[1], et si l’on s’en rapportait uniquement au « Manifeste aux nations éclairées et humanitaires de l’Europe et de l’Amérique du Nord » ou à l’ « Appel de tous les citoyens de la patrie arabe asservie aux Turcs, » lancés par le « Comité national arabe de la Turquie. » Invoquant la communauté de race et rappelant la glorieuse histoire des Arabes de Syrie et de Mésopotamie au temps des grands Khalifes Ommiades et Abassides, le « Comité national arabe » met en

  1. Le Réveil de la nation arabe dans l’Asie turque (Plon, 1905, in-12). — Cf. Eugène Jung, les Puissances devant la révolte arabe (Hachette, 1906, in-12).