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est chargée de pitié, cette fin discrète et comme elle frémit sous son calme apparent ! John va partir ; il vient revoir son père, et Bob et la jeune fille. « La lumière que son père tenait dans la main refléta sa clarté vacillante sur le visage et l’uniforme de John lorsqu’il se retourna vers la scène avec un dernier sourire d’adieu, le des tourné à la nuit noire. L’instant d’après, il se plongea dans les ténèbres, le bruit cadencé de son pas régulier s’éteignit sur le pont quand il eut rejoint son compagnons d’armes, et il partit pour aller souffler dans sa trompette jusqu’au moment où elle devait se taire à jamais sur l’un des sanglans champs de bataille de l’Europe. »

De tels dénouemens sont heureux auprès de ceux qui abîment dans la douleur ou dans la mort la faillite des destinées. Quelle vision désenchantée de la vie que celle des Woodlanders, du Retour au Pays natal, de Tess d’Urbervilles et de Jude l’Obscur ! Peut-être ne trouverait-on rien, dans le roman contemporain, de plus pathétique, de plus désespéré que l’agonie de Jude et sa disparition de la scène du monde, où s’est joué son long martyre. Il est revenu au Christminster de ses rêves d’enfant, au paradis de ses chimères, de ses ambitions et de ses efforts ; mais il y est revenu plus pauvre, plus impuissant, plus déçu que jamais. Un désastre sans nom s’est ajouté aux plus douloureuses défaites pour achever de briser son courage. Sue l’a immolé et s’est immolée elle-même à ce qu’elle considère comme son nouveau devoir, et qu’il appelle sa folie : elle est retournée au mari qu’elle n’aime pas ; Jude est revenu avec Arabella qu’il méprise. Le chagrin, la maladie, la misère l’ont terrassé. Un jour, un radieux jour d’été et de fête, le jour des régates (Chrisminster, ne l’oublions pas, c’est Oxford), il est seul. Arabella est sortie pendant qu’il sommeillait, lasse de garder ce moribond qui tarde trop à mourir. A Oldgate College, le concert est commencé. Les notes puissantes de ce concert arrivent jusqu’à Jude, réveillé par sa toux et qui demande à boire. Deux noms se mêlent dans son délire : Sue, Arabella. Aux deux femmes il ne demande plus qu’une chose : un peu d’eau. Mais pas une goutte d’eau ne rafraîchit sa fièvre et les notes de l’orgue roulaient toujours leurs ondes. Alors cet agonisant tragique se dit à lui-même les dernières prières ; il récite la malédiction de Job : « Périsse le jour où je suis né… » Cependant, Arabella parcourt la fête, tentée à tous les plaisirs, amusée des regards,