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vingt ans[1], au voyage qu’il fit en Thébaïde. Les indigènes n’avaient donc pu, en aussi peu de temps, perdre le souvenir d’une catastrophe, d’autant plus inoubliable qu’elle se produit rarement en Égypte. Ils pouvaient donc se rappeler encore quels étaient les monumens qui en avaient le plus souffert. Or si le colosse du nord eût été du nombre, ils auraient formulé leur renseignement d’une façon moins vague, et Strabon lui-même serait plus affirmatif. Après le bouleversement dont la Thébaïde fut le théâtre, antérieurement au cataclysme, le caractère vague du témoignage de Strabon permet donc d’émettre quelques doutes à son sujet et d’attribuer à une tout autre cause qu’à un tremblement de terre la destruction de la partie supérieure de l’un des colosses.

L’an 87 avant Jésus-Christ, Ptolémée Lathire, voulant se venger des habitans de Thèbes qui refusaient leur soumission, fit le siège de cette ville et détruisit de nombreux monumens.

Quatre siècles auparavant[2], Cambyse avait porté la désolation dans l’Égypte entière ; tuant le bœuf Apis, profanant les sépulcres, ravageant par le fer et par le feu un grand nombre d’édifices sacrés, il laissa une réputation détestable : la haine attachée à son nom était encore si vivace sous la domination romaine, que tous les bouleversemens, toutes les dévastations et notamment la destruction du colosse du nord lui furent imputés.

Quelque exagérée que fût l’opinion des Egyptiens sur les méfaits de ce prince, cette version paraît la plus vraisemblable, non parce qu’elle accuse Cambyse de cette destruction[3], mais surtout parce que c’est à la main de l’homme et non à un tremblement de terre qu’elle attribue le renversement du monolithe. Le témoignage de Pausanias[4], celui de quelques inscriptions, mais, avant tout, un examen détaillé de chaque colosse sont là pour l’attester.

Si l’on établit une comparaison entre les monumens endommagés par le tremblement de terre et la forme des deux statues, on verra que la partie supérieure de celles-ci, offrant un ensemble qui va en diminuant depuis la ceinture jusqu’au sommet

  1. On place le voyage de Strabon en Égypte entre les années 18 et 7 avant J.-C.
  2. De 520 à 517 av. J.-C.
  3. On pourrait aussi bien l’attribuer à Ptolémée Lathire.
  4. Liv. I, ch. XLVII.