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sud. La secousse produite par le tremblement de terre déplaça de 2°40’ le niveau normal du piédestal et agrandit cette fissure, ce qui donna à la statue sa propriété sonore. Cette vibration, n’ayant pas lieu tous les jours, ne fut pas constatée tout d’abord ; quand on l’eut remarquée, on y ajouta si peu d’importance que personne ne chercha à perpétuer le souvenir de ce phénomène en faisant graver son nom sur le monument. Il en fut ainsi probablement jusqu’à la visite de Strabon et quelques années après ; mais, peu à peu, la nouvelle s’en étant universellement répandue, les voyageurs affluèrent de toutes parts croyant à un prodige. Enclins à tout poétiser, les Grecs ne tardèrent pas à entourer de merveilleux un fait qu’ils ne pouvaient expliquer. Deux causes contribuaient à les induire en erreur. D’abord l’emplacement où se trouvait la statue. Cet endroit, par suite, sans doute, des nombreux édifices qui s’élèvent sur la lisière du désert, dut à l’origine s’appeler Mennounia, du mot égyptien mennou qui signifie monumens ; déjà sous Ptolémée Évergète II, ce nom hellénisé par les Grecs, se prononçait Memnonia.

L’autre cause fut la faculté que possédait ce monolithe d’émettre des sons dès qu’apparaissaient les premiers rayons de l’aurore. Ce phénomène les ayant entraînés à établir un rapprochement entre Memnonia et Memnon, ils refusèrent, dès lors, malgré l’affirmation des habitans de Thèbes[1], de voir dans cette statue l’image du pharaon Amenhotep III et prétendirent qu’elle représentait le divin Memnon, fils de Tithon et de l’Aurore, qui, tous les matins, saluait sa mère à son lever ; heureux de retrouver dans l’histoire de l’Egypte un héros de leur cycle héroïque, auquel ils attribuèrent la plupart des monumens de ce pays[2].

Nous possédons trop de témoignages authentiques relatifs à la sonorité de cette statue, pour qu’on puisse la révoquer en doute. Strabon la compare au bruit que produirait un petit coup sec et Pausanias à celui d’une corde de cithare ou de lyre qui se rompt. Indépendamment de ces deux écrivains, Tacite[3], Juvénal[4], Lucien[5], d’autres encore, nous parlent de la voix de

  1. Pausanias, liv. I, ch. XLII.
  2. On sait que Memnon se rendit à Troie, comme allié de Priam et fut tué par Achille.
  3. Annales, liv. II, 61.
  4. Satire XV, De la superstition.
  5. Le menteur d’inclination.