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« Depuis le 21 juin 1791, combien d’années de tourmens, de travaux communs, de chagrins partagés nous ont rendus l’un à l’autre nécessaires ! Soignez-vous, conservez-moi un ami si précieux ; je n’ai pas besoin d’ajouter que je ne vous laisserai pas perdre de vue un instant que votre charge et ma juste confiance vous donnent un double devoir à remplir auprès de moi. Tout ce que je vous demande pour le moment, c’est d’attendre une quinzaine de jours, ayant indispensablement besoin de votre présence, pour bien mettre au courant les serviteurs que je me propose d’employer dans mon cabinet. Adieu, mon ami, je vous attends avec impatience. »


II

Entre les serviteurs auxquels le Roi faisait allusion en finissant cette lettre, il en est un que, depuis longtemps, il honorait d’une estime particulière parce que c’est au comte d’Avaray qu’il devait de le connaître, et auquel il songeait déjà pour remplacer celui-ci. Né à Avignon en 1770, ce gentilhomme appartenait à une vieille maison de Provence où, dès l’an 940, ses aïeux possédaient la principauté de Baux et la baronnie d’Aulps, comme fiefs de l’Empire ; il se nommait le comte de Blacas.

Capitaine dans les dragons du Roi et chevalier honoraire de Malte, il avait émigré à la fin de 1789 et, en 1790, se trouvant à Nice, protesté publiquement par un écrit inséré dans la Gazette de Paris contre le décret du 19 juin qui abolissait la noblesse héréditaire. Après avoir établi, en remontant aux origines de sa famille, qu’il ne tenait pas cette noblesse de la nation française et qu’en conséquence aucun décret ne pouvait la lui ravir, il déclarait « qu’il la défendrait aux dépens de ses jours, entendant la laisser sans tache à ses enfans comme la plus précieuse portion de l’héritage de ses pères. » Avec une égale ardeur, il se déclarait prêt à verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la religion catholique, apostolique et romaine qu’ils avaient toujours professée, « pour rendre au meilleur et au plus infortuné des monarques son autorité légitime et pour venger son auguste épouse des atroces complots formés contre ses jours. » — « Voilà les sentimens dans lesquels je jure de vivre et de mourir, toujours fidèle à mon Roi légitime et aux princes de la maison de Bour bon, dignes du sang du Grand Henri. »