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Ses vœux furent enfin exaucés. En juillet 1808, il quittait la Russie, rejoignait à Gothembourg la Reine et la Duchesse d’Angoulême parties de Mitau pour s’installer en Angleterre. Arrivé avec elles à Hartwell, il y devenait en peu de temps le bras droit de d’Avaray et par contre-coup l’objet de l’entière confiance du Roi.

Ne s’attendant que trop à perdre son ami, ou tout au moins à le voir s’éloigner de lui, Louis XVIII, docile à ses conseils, était résolu déjà à lui donner Blacas pour successeur. En attendant, afin de s’attacher celui-ci d’une manière définitive, il le nommait Grand maître de la garde-robe. « Mon désir et mon intention, lui écrivait-il, sont, mon cher comte, dans des temps plus heureux, de vous placer auprès de moi d’une manière convenable à votre nom et à votre dévouement à ma personne. En attendant, je vous charge en chef de régler et d’ordonner ma maison, en vous entendant avec le comte de La Chapelle. Je sais que c’est moins vous donner un témoignage de satisfaction que vous demander une nouvelle preuve d’attachement ; mais j’aime à en recevoir de vous. »

Dans l’état modeste et précaire de la cour de France exilée, la fonction qui venait d’être confiée à Blacas était assurément au-dessous de ses mérites. Mais de toutes celles dont il eût pu être chargé, il n’en était pas de mieux faite pour le rapprocher du Roi et permettre à celui-ci d’apprécier à sa valeur le conseiller nouveau qu’il se donnait. Du reste, tant vaut l’homme, tant vaut la fonction, et Blacas en prenant possession de la sienne y voyait le moyen non seulement de se consacrer plus activement encore que par le passé à la cause de Louis XVIII, mais aussi de le mieux faire connaître. Il le disait au comte de Maistre, avec qui, depuis son départ de Saint-Pétersbourg, il correspondait fréquemment.

« Oui, mon cher comte, c’est moi indigne qui suis chargé, comme vous dites, de l’emploi du monde le plus honorable. Mais combien ne serait-il pas au-dessus de mes forces et de mes moyens, si ceux de mon maître ne suppléaient pas à tout ce qui me manque ! Je m’en aperçois tous les jours, à tous les momens, et je puis dire que je jouis en voyant que sa tête froide, son esprit juste et droit, son jugement sain, son éloquence naturelle, ses connaissances profondes, sa facilité pour tout, son indulgence et sa bonté infinie le mettront, dans quelque circonstance qu’il se