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fidélité et le dévouement de votre prédécesseur, mais il était excessivement peu fait pour les affaires que vous faites, vous, à merveille. Vous aurez beaucoup de peine sans doute ; mais cette peine est noble, honorable et digne de vous. »

On voit qu’à la date où Joseph de Maistre se réjouissait de voir Blacas prendre la direction des affaires du Roi, la santé de d’Avaray l’avait contraint au suprême sacrifice que, depuis un an, la présence à ses côtés d’un collaborateur lui permettait de reculer, en lui donnant l’illusion que de sa petite maison de Chelsea, d’où il ne sortait plus qu’accidentellement, il était encore utile à son maître. Effrayés par les progrès de la maladie qui ravageait son corps épuisé, les médecins, non contens de lui ordonner le repos le plus absolu, conseillaient en outre un climat moins pluvieux et moins humide que celui d’Angleterre, plus chaud et plus salubre que celui même d’Italie. C’est dans l’île de Madère qu’ils voulaient voir le malade se fixer. De leur ordonnance, il n’acceptait encore qu’un article, celui qui prescrivait le repos, il repoussait l’autre qui le condamnait à vivre loin du prince auquel il avait consacré sa vie et auprès duquel il craignait de ne pouvoir revenir. Mais, à quelques mois de là, le mal qui le minait, les conseils attristés de son maître, ceux de Blacas, allaient avoir raison de sa résistance et l’obliger à se soumettre aux prescriptions médicales.

Tout est déchirement dans son âme, à cette étape de sa vie qui sera la dernière. Il faut quitter ce qu’il a le plus aimé, renoncer à être le témoin du grand jour dont il n’a jamais désespéré et qui verra Louis XVIII rentrer triomphant dans sa capitale aux acclamations de son peuple. Lorsque, à la veille de son départ, le Roi en larmes le serre dans ses bras, d’Avaray qui fait effort pour contenir les siennes afin de ne pas dramatiser la tristesse de ses adieux, pressent qu’il ne le reverra pas, et dans un élan de cœur, il le recommande au dévouement de Blacas.

Le 23 août 1810, après avoir attendu pendant toute une semaine les vents favorables, il s’embarquait à Falmouth, accompagné d’un jeune secrétaire, le comte de Pradel, dont en peu de temps il avait gagné l’affection et du vieux domestique qu’il appelait son « fidèle Potin. » « Adieu, mon cher comte, mande-t-il à Blacas au moment où le navire va mettre à la voile. Je suis, avec le sentiment du plus profond dévouement, aux pieds du Roi et de son auguste famille. »