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reprenait courage, pas du tout « la petite-fille du vieil Agrippa. » Elle n’étoit même pas éloignée de voir dans les malheurs publics un juste châtiment de la Providence. C’est ainsi qu’elle écrit à la princesse des Ursins : « Vous avez raison, madame, de dire qu’il faut regarder tout ce qui nous arrive comme venant de Dieu. Notre Roi étoit trop glorieux ; il veut l’humilier pour le sauver. La France s’étoit trop étendue et peut-être injustement ; il veut la resserrer dans des bornes plus étroites et qui en seront peut-être plus solides. Notre nation étoit insolente et déréglée ; Dieu veut la punir et l’abaisser. » Aussi est-elle d’avis, comme au reste l’héroïque défenseur de Lille, Boufflers lui-même, « qu’il faut faire la paix à quelque condition que ce soit, qu’il faut céder à la force, au bras de Dieu qui est visiblement contre nous, et que le Roi doit plus à ses peuples qu’à lui-même. »

L’insistance avec laquelle elle se déclarait pour la paix, même la plus dure, tout en répétant qu’elle n’était « qu’une simple particulière, et que ce n’étoient pas ses avis qui feroient la paix ou la guerre, » lui valait des lettres « à feu et à sang[1] » de la princesse des Ursins, qui lui répondait, d’un ton à la fois railleur et fier : « On vous fait craindre, madame, le scorbut et la peste ; comment n’y ajoute-t-on pas que le ciel tombera ?… Pardonnez-moi si je ne me rends pas sur la nécessité que vous trouvez à soumettre tout aux lois que la Ligue veut imposer au plus grand monarque du monde. Je ne puis me représenter le chagrin mortel qu’il aura, après les avoir subies, sans ressentir une douleur inconcevable[2]. »

Il y avait encore, loin de Versailles, mais exerçant cependant une secrète influence, jusque dans le Conseil du Roi, un autre pacifique illustre : c’était Fénelon. L’ardeur qu’il déployait à prêcher la paix était d’autant plus grande que, voisin de la frontière, il voyait de plus près l’état des choses. Peut-être aussi, bien qu’il s’en défendît, cette ardeur était-elle entretenue chez lui par « l’indisposition du cœur d’un homme disgracié[3]. » De son archevêché de Cambrai, Fénelon adressait en effet au

  1. Mme de Maintenon d’après sa Correspondance authentique, t. II, p. 185, 198, 203.
  2. Lettres inédites de Mme de Maintenon à la princesse des Ursins, t. IV, p. 272.
  3. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 315.