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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/34

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Desmaretz, puisa la Guerre par Voysin, le parti de la paix se fortifia encore de deux nouvelles recrues, car Voysin, tout à Mme de Maintenon à qui il devait son élévation, n’aurait eu garde de la contrarier, et quant à Desmaretz, auquel incombait la lourde tâche de trouver les ressources nécessaires pour continuer la guerre, cette seule raison devait suffire pour l’incliner à la paix. Louis XIV n’était donc guère entouré que de conseillers pusillanimes ou découragés. Souvent il s’en plaignait. « Le Roi, dit quelque part Torcy, dans son Journal[1], gémit sur les instances trop vives que ses ministres lui avaient faites pour le porter toujours à se relâcher, et sur la facilité qu’il avait eue de suivre ces conseils. »

Dans ces douloureuses conjonctures, Louis XIV eut cependant la fortune de trouver en celui dont nous venons de citer quelques lignes, et qui était alors secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, un appui et un instrument. Ce bon serviteur des mauvais jours mérite mieux qu’une mention rapide, car s’il n’a point connu, comme tel de ses prédécesseurs, l’heureuse fortune de préparer la signature de quelque glorieux ou avantageux traité, il a eu du moins le mérite de parler avec dignité au nom de la France, dans les temps les plus critiques, et de ne jamais désespérer d’elle.

Jean-Baptiste Colbert, marquis de Torcy, était fils de ce Colbert de Croissy, frère du grand Colbert, qui fut en 1673 le successeur de Pomponne, et se montra, pendant quinze ans, assez médiocre secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Élève du collège de la Marche, qui était situé sur la montagne Sainte-Geneviève, « collège de médiocre extérieur et de médiocre pension, peu fréquenté des gens de noblesse, » dit M. Frédéric Masson, dans la vivante et vibrante notice dont il a fait précéder le Journal de Torcy, il y fit de fortes études et y lut prodigieusement, s’attachant de préférence aux livres d’histoire. A quatorze ans, il passait brillamment sa thèse de philosophie et eut l’honneur d’être à cette occasion présenté au Roi qui dit à son père : « La figure m’en plaît. » A seize ans, ses exercices étant terminés et une dispense d’âge lui ayant été accordée pour qu’il pût être reçu licencié et prêter le serment d’avocat, il se mit à courir l’Europe, mais toujours par obéissance et en mission. « Souvenez-vous sur toute chose, lui écrivait son père, qu’il n’y

  1. Le Journal de Torcy, qu’il ne faut pas confondre avec ses Mémoires, a été publié Dar M. Frédéric Masson en 1884.