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LA LITTÉRATURE POPULAIRE DE L’EXTRÊME NORD.

Cette légende n’est pas slave. Elle n’est pas byzantine. Elle n’est pas orientale, ou du moins elle n’appartient ni à l’Orient aryen ni au cycle sémitique. On n’en retrouve pas la trace, comme c’est le cas pour tant d’autres fables russes, dans l’héritage des conteurs musulmans.

Elle n’est pas chrétienne non plus. Quant à sa ressemblance avec le conte de Cendrillon, qui peut frapper au premier abord, elle n’est que superficielle. Cette légende est profondément panthéiste.

Mais nous n’avons pas affaire ici au panthéisme grec, toujours policé, même quand, sous sa forme archaïque, la plus mystique et la plus haute, il revêt l’aspect colossal et fruste du culte du Grand Pan, devant lequel les dieux de l’Olympe ne sont que des comparses élégans et humanisés.

C’est le vieux panthéisme populaire des brumes du Nord, celui des fées, celui des pays d’Armor, que l’on peut opposer aussi bien à la forme gréco-latine qu’à la forme pythagoricienne, dérivée de l’Inde ou de l’Égypte.

La Baba-Yagha, c’est l’une des lois de la nature, ou plutôt c’est la nature elle-même, la nature implacable et sereine, qui broie sans pitié les hommes et les autres êtres avec son pilon de bois dans son mortier de fer.

Les serviteurs, ce sont, pour chaque Baba-Yagha, un groupe de forces de la nature, ou d’esprits élémentaires, comme disaient les alchimistes, qui sont ici l’aube, le soleil et la nuit, et qui, pour d’autres Baba-Yagha, sont les quatre élémens, ou les trois règnes de la nature, ou les quatre vents du ciel.

Wassilissa, c’est l’âme humaine.

La poupée de Wassilissa, c’est la sagesse, ou la science humaine, qui vient des ancêtres, que l’on commence à recevoir à l’âge de raison, et qui dompte ou utilise, dans une certaine mesure, les forces naturelles.

Elle dit à l’âme les choses qui consolent, les mots qui rendent fort.

Ces paroles, que la sagesse répète et apprend aux hommes, ce sont celles qui font accepter le mal d’ici-bas en persuadant qu’il est un bien, ce sont les mots qui asservissent à la volonté de l’homme les forces extérieures, contre lesquelles il serait impuissant à lutter, et qui semblaient d’abord ses pires ennemis.