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les houppes de soie en simulaient le cimier. Ses bracelets étages devenaient des brassards, les volutes des emmanchures se changeaient en épaulières, et les anneaux des jambes tenaient lieu de cnémides. C’était Soubramanyé lui-même qui descendait parmi nous.

Puis elle redevint femme pour voltiger, décrire des spirales, des cercles. Et, la face tournée toujours vers nous, elle s’envolait, pareille aux Péris que la brise berce au-dessus des grandes fleurs épanouies parmi les lianes des bois. Quelques bonds la portaient à l’autre bout de la salle. Quand elle s’élançait en arrière, les bras largement ouverts, pour régler son équilibre, travaillant sur ses jarrets d’acier, plus fière qu’un cheval de guerre, l’on entendait le bruit sourd de l’air refoulé sous le pagne épanoui en queue de paon.

Elle revenait dans un amble menu, les poings fermés sur ses hanches rondes, comptant ses pas, les yeux voilés par ses longues paupières, les lèvres abaissées par une moue dédaigneuse, et s’arrêtait, à nous toucher. Dardant alors ses prunelles de feu, nous fascinant de leur expression perverse, elle incarnait le génie de la luxure, criait, quoique muette, la gloire de la chair, l’empire de l’amour plus fort que la mort, dominateur du monde, qui surmonte toutes choses et survit à toutes, qui vit en se détruisant lui-même, et ne se satisfait point.

Puis, brusquement, de pied ferme, au beau milieu de la tirade sensuelle où elle semblait ne penser qu’à faire, de la bouche et du geste, un sort à chaque mot, la voici qui s’élance à plusieurs pieds de terre, tourne sur elle-même en un saut périlleux, frétille en l’air tel un gros poisson doré, et retombe sur ses pieds, calme, paisible, sans qu’un pli de son costume, sans qu’une fleur de sa coiffure ait bougé. Et la bayadère continue de débiter son monologue, avec sa mine astucieuse, sournoise et lubrique, plus voluptueuse que cette fameuse déesse Mariammin qui, par suite d’un accident, eut sa tête recollée sur le corps d’une prostituée, tête vénérée dans la pagode de Virapatnam par la population des Macquois…

Nous quittâmes la maison de Sandiramourty fort avant dans la nuit, en le remerciant de nous avoir donné un spectacle aussi merveilleux. Les Hindous ne paraissent point pressés de partir. La fête, une fois les profanes éloignés, devait prendre un caractère plus intime sur lequel je ne me suis pas fait renseigner.