Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/448

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mille de Pondichéry. Les Scarites sont, comme chacun sait, des coléoptères noirs, allongés, cylindriques au moins pour les formes dravidiennes, et remarquables par leurs grandes mandibules falquées. Le jour, ils se tiennent dans le sable où ils progressent à couvert et font la guerre aux insectes. Au soleil couchant, ils s’envolent parfois, gardant une allure verticale, et l’on dirait de ces petits génies que l’on voit planer debout dans les miniatures persanes. Voilà bien longtemps que je connais l’endroit aux Scarites. Depuis vingt ans il n’a pas sensiblement changé. C’est toujours la même lande désolée, grisâtre, coupée de ruisseaux aujourd’hui taris, et qu’ombragent parcimonieusement quelques arbres au feuillage maigre et roussi. Les ossemens en cendres se mêlent à des débris de charbon dans les monticules de poudre. Car Sakkili Top est l’emplacement où les Hindous de Pondichéry ont coutume de brûler leurs morts.

Les obsèques, dans l’Inde, ne sont point accompagnées avec cette grave et lente majesté qui nous paraît, en Occident, inséparable de toute cérémonie funéraire. Aux sons des trompettes, des clochettes et des tambourins, l’on porte, à bras d’hommes, le défunt vers le bûcher où sa dépouille se consumera en plein vent. J’ai vu souvent passer des cortèges funèbres. La première fois j’ai cru assister à une réjouissance champêtre. Les appels de la grande trompe liturgique éveillaient de loin mon attention. Bientôt j’apercevais le gros des parens et des amis marchant en désordre et d’une allure rapide, devançant, flanquant, suivant le brancard porté par six hommes. Sur ce brancard était couchée une jeune femme qui disparaissait sous les fleurs. On ne voyait que sa face pâlie et sa longue chevelure noire épandue parmi les jasmins et les roses. Oscillant aux cahots du chemin et au hasard des mouvemens des porteurs, la morte paraissait dormir et les gens du cortège se féliciter de la manière commode dont elle accomplissait son voyage… Ne me demandez pas des détails sur le bûcher ni sur la crémation. Je ne saurais trop le répéter, ma fidèle habitude est de ne pas m’immiscer dans les fêtes où je ne suis pas convié. Le spectacle d’une incinération n’a rien de particulièrement curieux ni de nouveau, tant les voyageurs se sont appesantis sur la chose. On ne brûle plus, en pompe, les veuves vivantes avec leurs époux décédés. C’est un progrès. Mais la règle de la vie leur assure une condition tellement misérable, avec la servitude et la prostitution familiales, que la