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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/465

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la moindre idée de l’usage qu’il pourrait en faire ; et comme, après le souper, quelqu’un lui demandait, par plaisanterie, vers quel lieu du monde il comptait d’abord se diriger, c’est à tout hasard qu’il répondit : « Vers Jérusalem ! » La réponse fut accueillie par un éclat de rire unanime. La plupart des assistans affirmèrent que Jérusalem avait cessé d’exister, depuis des siècles, de la même façon que Babylone, ou que Tyr et Sidon ; les autres soutinrent que, si l’ancienne cité biblique existait encore quelque part, ce n’était pas Whaley, en tout cas, qui parviendrait à la découvrir. Le jeune buck, qui avait toujours adoré la contradiction, fut ravi d’une aussi excellente occasion de se faire valoir : il s’offrit à parier, contre tout le monde, qu’il irait à Jérusalem et serait de retour à Dublin avant deux ans. Dès le surlendemain, les enjeux du pari avaient déjà dépassé 12 000 livres sterling.

Voilà comment fut décidé le voyage de Thomas Whaley en Palestine. Et le voyage eut lieu, — mais non pas sur le vaisseau commandé à Plymouth, le jeune homme s’étant vu contraint de le vendre, aussitôt construit ; — et Whaley, s’il eut infiniment de peine à toucher les sommes qu’il avait gagnées, s’acquit du moins, par cet exploit, une célébrité immortelle : car il n’y a personne, aujourd’hui encore, en Angleterre comme en Irlande, qui ne connaisse le nom de ce « Jérusalem Whaley » qui, — pour citer une des innombrables chansons composées à sa gloire, — « étant très à court d’argent, et ayant l’habitude d’étonner son monde, a parié plus de 10 000 livres qu’il visiterait les Lieux Saints. » Mais on s’était toujours demandé, jusqu’ici, ce que pouvaient être devenus les mémoires que l’aventurier irlandais passait pour avoir écrits, au retour de son voyage ; et la surprise et le plaisir ont été grands lorsque, le mois passe, l’on a appris que ces mémoires qu’on croyait perdus allaient enfin être publiés.

Ils avaient été découverts, tout récemment, par un érudit irlandais, sir Edward Sullivan, dans des circonstances assez singulières. Étant entré, par hasard, à Londres, dans une salle de ventes, M. Sullivan s’était fait adjuger deux volumes reliés, que l’on vendait uniquement pour la beauté, ou plutôt pour le luxe un peu prétentieux, de leur reliure. Sous cette reliure en maroquin rouge lourdement doré se trouvait un manuscrit, signé des initiales W. M., et intitulé : Voyages dans diverses parties de l’Europe et de l’Asie, et notamment à Jérusalem, avec un récit sommaire de la vie de l’auteur, et ses mémoires privés. Le manuscrit était une copie très soignée, évidemment faite en vue de l’impression : au bas de la page du titre, écrite à l’imitation d’un titre imprimé, on avait mis : « Dublin, 1797. » Et un coup d’œil jeté