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façon d’agir ne procédait point au mauvais vouloir, ni de l’impolitesse. Les Turcs, dans leur orgueil, ne veulent point que vous supposiez que quelque chose qui leur vient de vous puisse leur apporter la moindre satisfaction. En recevant un cadeau d’un chrétien, un Turc est persuadé que c’est lui qui oblige, et jamais vous ne l’amènerez à concevoir que vous l’obligiez, si même vous lui faites présent de la moitié de votre fortune.


Quelques jours après, à Fotcha Nova Whaley eut l’occasion d’assister à une autre manifestation du caractère turc :


En revenant d’une de nos chasses, nous fûmes accostés par un musulman d’apparence très respectable, qui nous témoigna le désir de nous accompagnera bord, pour voir notre bateau. Nous l’emmenâmes donc avec nous, et il sembla très touché de cette attention. Il loua grandement l’odeur de notre porter en bouteille, et approuva fort notre cuisine anglaise ; mais lorsqu’on lui présenta un couteau et une fourchette, il se montra très surpris de ces instrumens, et, après une tentative malheureuse pour en faire usage, il eut recours à sa vieille méthode, qu’il trouva la meilleure, et dont il fit un emploi excellent pour dévorer tout ce qu’il y avait sur la table qui pût être mangé. Le dîner fini, nous lui offrîmes du vin, qu’il refusa ; mais il but une bouteille entière de rhum, qui ne fit que lui donner soif. Or, comme notre provision de rhum était très réduite, je proposai de lui servir, en échange, un peu d’eau de lavande, ayant lu dans les Mémoires de De Tott que les Turcs absorbent parfois de grandes quantités de ce liquide extrêmement violent. On lui en servit uns bouteille, dont il but aussitôt la moitié ; et, certainement, il aurait achevé la bouteille si je ne la lui avais retirée des mains. Et alors, le rhum et la lavande ayant commencé à opérer, je ne pus m’empêcher d’éprouver de très sérieuses appréhensions : car lorsqu’un Turc s’enivre, il ne se fait point de scrupule de tuer le premier giaour qu’il rencontre, et la loi ne punit ce délit que d’une légère bastonnade. Cependant j’eus le plaisir de voir que notre hôte se tenait relativement tranquille. Nous le ramenâmes au port, et le laissâmes là, à la garde de Dieu.


À Chypre, Whaley s’achète une petite amie :


Jamais je n’oublierai ma tendre, fidèle et charmante Teresina, telle que je l’ai achetée à ses parens. Quand je la vis d’abord, elle était assise devant sa porte. La beauté de son teint, la régularité de ses traits, mais surtout la simplicité innocente et modeste de son expression, me firent la considérer avec ravissement. Ce que voyant, ses parens résolurent aussitôt de tournera leur profit la vive impression que leur aimable enfant avait faite sur moi, Un quart d’heure après, le marché était conclu, j’avais payé environ 130 livres, et Teresina m’appartenait. Pour étrange que cela puisse sembler, j’étais la 6eule personne à m’étonner d’une transaction aussi extraordinaire. Teresina versa bien quelques larmes en quittant ses parens, mais elles furent vite séchées lorsque je l’eus pourvue des robes les plus coûteuses qu’on vendait dans la ville. Elle était pleinement heureuse de sa situation nouvelle. Elle