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la discussion des quatre contributions pourra servir de cadre à un large échange d’explications.

Si les perspectives les plus prochaines ne sont pas exemptes de nuages, celles de l’avenir, de celui qui commencera après les vacances, sont encore plus obscures. En réalité nous n’avons pas de gouvernement : nous avons des ministres dont chacun agit à sa tête : ils ne vivent, non pas d’accord mais ensemble, qu’à la condition d’en garder la liberté. Le fait était déjà connu de nos lecteurs : ils en trouveront une preuve nouvelle dans la prodigieuse désinvolture avec laquelle M. le ministre de l’Intérieur a subitement frappé de disgrâce M. Collignon, préfet du Finistère, et M. Tourel, sous-préfet de Brest. Il ne s’agit pas ici d’un incident ordinaire, et ce n’est pas le cas de dire : Qu’importe un préfet ? Qu’importe un sous-préfet ? Leur premier, leur seul devoir n’est-il pas de plaire au gouvernement, et, s’ils ne lui plaisent pas, bon voyage ! Il s’agit de deux fonctionnaires excellons et courageux, qui ont montré de l’habileté et de la fermeté dans une situation très délicate, et auxquels tous les ministères antérieurs ont rendu justice. M. Combes lui-même a défendu M. Collignon contre les socialistes qui l’attaquaient, et M. Etienne a décoré M. Tourel.

On sait avec quelles difficultés, avec quels dangers ils ont été aux prises dans un département où se trouvent le port et l’arsenal de Brest. L’arsenal a été mis en état de révolution par le citoyen Goude qui, comme adjoint au maire, est parvenu par surcroît à dominer la municipalité. Pendant tout le proconsulat de M. Pelletan, M. Goude a été tout-puissant à Brest. Le préfet et le sous-préfet lui ont pourtant tenu tête, et, certes, ils y ont eu du mérite : qui pouvait leur répondre qu’ils ne seraient pas un jour ou l’autre désavoués par leur ministre ? Il aurait suffi pour cela du moindre accident où le sang aurait coulé : grâce à eux, cet accident ne s’est pas produit. Ils ont été désavoués quand même par M. Clemenceau au moment où rien ne le faisait prévoir, et mis en disponibilité l’un et l’autre. Pourquoi ? Le saura-t-on jamais ? Aucun débat n’a eu lieu à ce sujet à la tribune. Les députés et les sénateurs du Finistère se sont contentés d’aller demander à M. Clemenceau beaucoup moins des explications sur sa propre conduite, que des promesses de réparation pour les malheureux qu’il venait de briser. M. Clemenceau a fait ces promesses. Mais, quelque sympathie que méritent M. Collignon et M. Tourel, leur intérêt personnel n’est pas le seul qui nous touche dans cette affaire. Il y en a un autre plus général. Quoi ! deux fonctionnaires tiennent en respect le socialisme déchaîné ; ils rétablissent l’ordre dans