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l’arsenal de Brest ; ils sont encouragés par toute la partie saine du département ; tous les ministres, même les pires, nous n’appliquons pas ce qualificatif à M. Etienne, — leur ont rendu justice. M. Clemenceau vient les frapper dans le dos ! Que signifie ce coup double ? — Mien du tout, a dit M. Clemenceau aux représentans du Finistère ; on aurait tort de croire que j’aie attaché à cela la moindre importance, et surtout la moindre signification. La chose s’est produite ainsi, voilà tout. Mais les successeurs de MM. Collignon et Tourel ont reçu pour instruction de suivre exactement la même politique qu’eux, car c’est celle du gouvernement. Et comment pourraient-ils douter, s’ils marchent droit dans ce sens, qu’ils seront énergiquement soutenus ? N’ai-je pas fait mes preuves ? — Nous espérons » en effet, que M. Clemenceau n’a eu qu’une distraction et qu’il n’en aura pas deux : mais on conviendra que sa distraction a été forte. Ceux qui lui avaient attribué une intention réfléchie avaient de lui une opinion dont il avait lieu, en somme, d’être flatté. Il aime mieux qu’on pense qu’il n’a pas su ce qu’il faisait : soit ! Avouons-le, nous avions cru nous-même qu’après son brillant discours contre M. Jaurès, il avait voulu donner un gage de réconciliation aux socialistes. Mais que reste-t-il d’un discours lorsqu’il n’est pas confirmé par des actes ? Peu de chose. Et qu’en reste-t-il lorsqu’il est contredit par eux ? Absolument rien : il n’en reste qu’une défaillance qui fortifie l’adversaire au lieu de l’affaiblir. Le discours de M. Clemenceau est affiché sur les murs des 36 000 communes de France. M. Jaurès n’en triomphe pas moins, et M. Goude avec lui, puisqu’on leur a sacrifié deux fonctionnaires choisis parmi les meilleurs : leçon de choses bien déconcertante donnée à tous ceux qui font leur devoir ! Q la vérité, ils ont rarement affaire à un ministre aussi fantaisiste que celui d’aujourd’hui.

L’inexplicable et inexpliqué caprice de M. Clemenceau a pourtant eu un bon résultat : il a assuré la validation par la Chambre, à une très grande majorité, de l’élection de M. Biétry, le concurrent heureux de M. Goude. La Chambre a bien des défauts, mais ses tendances ne sont pas socialistes. Elle avait trop chaleureusement applaudi le discours de M. Clemenceau pour ne pas continuer à s’en inspirer. M. Clemenceau, lui, a des inspirations moins suivies, et ce n’est pas la première fois qu’il ne met pas d’accord ce qu’il dit et ce qu’il fait. Comme il est pour le moment l’homme le plus important du ministère, cela trouble. Nous restons sous une impression d’incohérence qui pèsera sur nos vacances : et qui sait si elle ne s’y aggravera pas encore ?