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I

II est permis de dire que l’antiquité n’a point pratiqué l’art du paysage et que c’est là un genre tout moderne. Aux prises avec la nature et incapable de comprendre les lois qui la régissent, l’homme primitif a été porté d’instinct à personnifier les forces qu’elle lui oppose ou les facilités de vivre qu’elle lui procure, en autant de divinités bienfaisantes ou terribles dont il doit par ses prières mériter la faveur ou détourner la colère. Comme le paysan de nos jours, ce qu’Homère apprécie surtout dans la nature ce sont les avantages matériels qu’elle peut offrir à notre existence : la richesse d’une terre féconde, le calme d’une mer clémente aux navigateurs, la chaleur fertilisante du soleil père des moissons, la fraîcheur des cours d’eau répandant partout l’humidité nécessaire aux plantes. De bonne heure, dans la religion comme dans l’art, le génie grec incline vers cet anthropomorphisme qui tend à incarner la nature dans l’homme. Il ne s’avise pas que cette nature a ses beautés propres, qui seront plus tard admirées pour elles-mêmes ; il pense moins encore à les représenter.

Si, durant la période alexandrine et dans l’art romain, la nature commence à apparaître, ce n’est que timidement, d’une manière purement décorative. Elle ne doit jamais distraire de l’être humain, ni absorber l’attention. Le christianisme naissant, quand il emprunte à l’antiquité païenne les détails pittoresques destinés à l’ornementation de ses autels ou de ses cimetières, vise surtout à leur donner une signification symbolique appropriée à ses croyances et à ses mystères. C’est en dehors de toute imitation directe et d’une façon conventionnelle qu’est faite cette utilisation. La figuration de ces détails devient même si rudimentaire que ceux qui s’appliquent à les reproduire croient prudent de placer, à côté de leur représentation, les noms des objets dont ils ont voulu tracer l’image. Dans la mosaïque du Baptême du Christ, au baptistère des orthodoxes à Ravenne, le cours d’eau où plonge le Christ est indiqué à la fois par des stries parallèles, simulant les flots, par une divinité fluviale appuyée sur son urne et par le nom du Jourdain inscrit au-dessus de sa tête.

A la suite des bouleversemens profonds qui amenèrent une