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société nouvelle, il semble que l’art lui-même dût sombrer, et la rudesse, la gaucherie de ses productions sont telles qu’on a peine à y distinguer si c’est l’art ancien qui achève de mourir, ou l’enfance d’un art nouveau qui s’essaie à ses premiers bégaiemens. L’Eglise elle-même, hésitante entre les courans divers qui se partageaient ses aspirations, contribuait à prolonger cette barbarie et quand, après des luttes violentes, les farouches partisans d’un culte sans images avaient été vaincus, une réglementation strictement hiératique dans la représentation des sujets sacrés continuait longtemps encore à peser sur les artistes, jusqu’à ce qu’enfin un esprit plus large et plus libre remplaçât ce formalisme trop rigoureux.

Peu à peu, la nature n’est plus considérée comme une ennemie ; elle se révèle aux pieux ermites réfugiés au fond des Thébaïdes pour y chercher la paix intérieure. Dans les solitudes qui l’attirent, l’âme ardente et tendre d’un saint François s’ouvre à ses beautés ; il aime les plantes, les bois, les fontaines, le ciel et la lumière du jour ; il découvre dans les plus humbles créatures la puissance et la bonté infinies de leur créateur ; il les célèbre en des apostrophes émues, avec un enthousiasme poétique que le monde n’avait pas encore connu.

Il appartenait à notre architecture religieuse de donner sa pleine et magnifique expression à ce mouvement des idées. Dans la construction des cathédrales qui de toutes parts s’élèvent sur notre sol au moyen âge, c’est à la végétation locale, — ainsi que l’avaient déjà fait les Egyptiens et les Grecs, — que nos architectes empruntent la décoration des chapiteaux des colonnes de ces monumens ou des frises qui se déploient le long de leurs parois. Bientôt après, sur les marges des manuscrits que nos enlumineurs ornent de miniatures, s’épanouissent les fleurs de nos champs et de nos bois. En les recueillant, au cours des saisons, en s’appliquant avec une délicatesse respectueuse à rendre leur grâce et leur fraîcheur, ces artistes anonymes comprennent leur beauté, celle même des lieux où elles sont écloses. Aux fonds dorés et gaufrés, sur lesquels se détachaient uniformément les épisodes des textes sacrés, succèdent peu à peu des paysages candides, représentant les horizons familiers de nos campagnes, la diversité de nos cultures, la douceur avenante de nos ciels. Grâce aux ressources que la technique de la peinture à l’huile met à sa disposition, cette intervention de la nature est