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ressource pour Mme de Staël quand ses autres amis seront obligés de la quitter. Les adieux commencent déjà. Mathieu[1] part demain et Juliette ne restera pas au delà de la semaine prochaine. La vie est si triste que la peine de se quitter ferait, si l’on était sage, renoncer au plaisir de se voir.

Adieu, cher Prosper. Malgré ce que je viens de dire, vous voir est cependant un plaisir auquel je ne veux pas renoncer. Monsieur votre père va vous faire une visite, à ce que j’apprends. Mais je pense que vous ne passerez pas l’hiver entier sans faire une course à Paris.

Je vous embrasse tendrement.


XIX


Coppet, ce 31 mars 1810.

Quoique j’espère vous revoir bientôt, cher Prosper, je ne veux pas attendre jusqu’à ce moment pour répondre à votre bonne lettre du 4. Le renouvellement de notre correspondance m’a été un grand plaisir, et actuellement qu’Anselme n’est plus incommodé[2], je serais tenté de me réjouir de ce que son indisposition a été pour moi l’occasion de rompre un silence qui me pesait chaque jour plus en se prolongeant, et dont cependant la prolongation devenait une nouvelle cause pour moi de retards.

Je me mettrai en route pour Paris vers les premiers jours d’avril, et j’y serai, j’espère, avant le 14, époque à laquelle il faut que j’y sois pour des affaires. Je voudrais bien, et je me flatte que mon désir ne sera pas trompé, je voudrais bien, dis-je, vous y trouver encore. On sait si peu quand on se reverra, dans ce monde, si bizarrement agité et si singulièrement paisible, qu’il n’est pas indifférent de manquer une occasion de se rencontrer.

Ce ne sera pas pour longtemps, à ce que je crains. Vous retournerez vers ce temps-là dans votre ermitage et je ne pense pas que je séjourne non plus d’une manière suivie à Paris. J’ai grande envie et grand besoin d’être à la campagne, et dès que je le pourrai, j’irai revoir les arbres que j’ai plantés, en votre présence,

  1. Mathieu de Montmorency.
  2. Anselme de Barante, mal remis de ses terribles blessures d’EyIau, revenait de la campagne d’Espagne en fort médiocre état.