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faisaient une impression profonde sur les foules et donnaient, à tous, le sentiment de la force et comme un enivrement anticipé de victoires futures. Sans doute, à la guerre, le dissolvant des privations et des fatigues, les rancœurs qui les accompagnent, l’énervement et la dépression du danger et de son attente, les larges trouées creusées dans les rangs par les projectiles et leur effet moral plus encore Que leur effet matériel tendaient à relâcher la tension de ces rouages. La supériorité n’en restait pas moins à ceux qui les conservaient les plus intacts, et le plus bel éloge que l’on pût faire d’une troupe au combat, c’est qu’elle y évoluait comme à la parade.

L’automatisme voulu et recherché, objet de toutes les préoccupations, but incessamment visé, avait sur les cadres la répercussion fatale des méthodes d’instruction qu’il exigeait. Elles les habituaient à la passivité du rang, à l’absence de toute réflexion étrangère à l’exécution étroite de formations et de mouvemens réglés dans leurs plus minutieux détails, d’après des types invariables, et leurs pensées, n’allant pas au delà du maintien de la cohésion et de la régularité, les laissaient hésitans et désarmés dans les rares occasions où l’imprévu leur imposait une décision personnelle. Le haut commandement seul avait en effet à y penser et à se préoccuper de combinaisons auxquelles il était peu préparé par un stage prolongé dans l’ambiance de ces erremens ou par la spécialisation de la guerre coloniale, lorsqu’il ne s’était pas formé par la méditation ou la pratique de la guerre européenne. Aussi, méconnaissant les principes essentiels, le voyait-on souvent réduire ses conceptions à une poussée aveugle en avant ou à l’immobilité inféconde de la défensive passive.

Depuis l’effarement causé en 1866 par le fusil à aiguille, trente-sept ans se sont écoulés, des guerres longues et acharnées ont ensanglanté les deux hémisphères, les armes se sont perfectionnées, le tir s’est fait plus rapide, les portées sont devenues plus grandes, les trajectoires plus rasantes, et nulle part une méthode solidement établie sur des assises rationnelles ne s’est substituée à celle qu’avait fixée la pratique séculaire de l’armement ancien.

Ce n’est pas que partout des recherches n’aient été faites, des essais tentés et des règles posées, mais n’ayant pu ou su se soustraire assez complètement aux influences du passé pour ne pas conserver l’empreinte d’un formalisme qui les rend éphémères,