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en revint à un langage moins acerbe. Le prince royal n’oubliait pas qu’il était né sujet des anciens rois de France. En sa qualité de Béarnais, il serait heureux et fier de rendre la couronne aux descendans d’Henri IV. Il y travaillerait avec plaisir. Mais son premier devoir était de s’occuper avant tout des intérêts de la Suède. Quand il s’en serait acquitté, il verrait ce qu’il pourrait faire pour les Bourbons. Après cette douche, La Ferronnays n’avait plus qu’à quitter Stockholm pour continuer son voyage, « convaincu, dit-il, que l’unique intention de Bernadotte, dans cette guerre, est de la faire au Danemark et de conquérir, s’il le peut, la Norvège. »

Le 29 mars, il était à Saint-Pétersbourg. Il avait jugé bon de s’y montrer, bien que l’empereur Alexandre en fût parti pour se rendre à son armée en route vers le Rhin. Il espérait s’y procurer les moyens d’arriver au quartier général de ce prince. Les émigrés qui résidaient dans la capitale russe, et notamment le comte de Brion et le chevalier de Vernègues, unirent leurs efforts à ceux du comte d’Armfelt, du duc de Serra-Capriola, de la comtesse Tolstoï, pour le faire bien venir du chancelier Romanzoff. Celui-ci lui joua avec une incomparable maestria la comédie du plus entier dévouement aux Bourbons[1], le fit dîner avec les ministres et les membres du corps diplomatique, voulut le présenter aux deux impératrices, la veuve de Paul Ier et l’épouse d’Alexandre, et lui offrit un courrier pour faciliter son voyage au quartier général.

Jusque-là, le comte de La Ferronnays n’avait eu qu’à se louer de l’accueil qui lui était fait. Mais, lorsque, après une course de trois jours, il débarqua à Dresde, tout changea. La plus grande confusion régnait dans cette ville où se trouvait le roi de Prusse et où le Tsar était attendu. On venait d’y apprendre la mort du général Koutousoff, le retour subit de Napoléon à son armée ; on croyait à l’imminence d’une grande bataille autour de Leipzig.

Dans ce désarroi, le représentant d’un monarque sans couronne ne pouvait se flatter d’exciter l’intérêt ni d’obtenir des faveurs. Le comte Tolstoï, conseiller du Tsar et lord Catheart, ministre d’Angleterre auprès des souverains alliés, l’accueillirent

  1. S’il faut en croire les rumeurs qui couraient alors Saint-Pétersbourg, le comte de Romanzoff, qu’on a vu à Coblentz embrasser avec ardeur la cause des Bourbons, conseillait à son maître de se réconcilier avec Napoléon, duquel il disait que seul il pourrait donner l’Orient à la Russie