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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/654

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effort ne lui avait valu que d’en subir plus durement le contre-coup.

Le duc de Piennes rencontré en chemin eût voulu qu’il ne s’adressât qu’au comte de Montrichard pour obtenir une audience de Bernadotte. Il le lui conseilla fortement par des raisons que lui suggérait une connaissance approfondie de la cour suédoise, des intrigues dont elle était le théâtre et des personnages qui en étaient l’âme. La Ferronnays, eut le tort — et il l’avoue dans sa relation, — de ne pas tenir compte de cet avis. Indépendamment de Montrichard, il sollicita les bons offices de Thornton, le ministre d’Angleterre qu’il savait dévoué aux intérêts de Louis XVIII, de M. de Vitterstedt, membre du cabinet suédois, de M. de Camps, le familier de Bernadotte, de Mme de Staël, venue à Stockholm pour faire entrer son fils dans l’armée suédoise. Partout, il reçut des encouragemens et d’aimables paroles. Mais, partout aussi, on lui donna à entendre que Bernadotte ne le recevrait pas. Les motifs de ce refus étaient ceux qu’on avait invoqués pour contraindre Narbonne à quitter le quartier général.

Son insistance lui attira de la part de Camps la plus cruelle algarade. Dans leur dernière entrevue, ce personnage, après avoir exprimé les regrets du prince royal et critiqué très vivement la proclamation de Louis XVIII, s’emporta tout à coup, reprocha aux Bourbons « la dévotion excessive et intolérante des uns, le scandaleux libertinage des autres, » les fautes qui leur avaient fait perdre la couronne et les empêchaient de la reconquérir, l’aveuglement qui les retenait dans le même état d’esprit que lorsqu’ils avaient émigré. Ils ne pouvaient rien offrir ni promettre à la France. Ils n’avaient pas même de décorations à donner, si ce n’est la croix de Saint-Louis, « ordre banal et avili, ordre militaire donné à des valets de chambre[1], à des gens qui n’ont porté de leur vie ni uniforme ni épée. »

— Si jamais vous rentrez en France, monsieur, dit Camps en finissant, il faut vous défaire de vos ridicules et antiques préjugés ; il faut apprendre une autre langue, laisser tout tel que vous le trouverez et ne faire de réformes que sur vous-mêmes.

La Ferronnays n’était pas venu chercher cette humiliante leçon. Il en fut mortifié. Peut-être allait-il y répondre. Mais son interlocuteur ne lui en laissa pas le temps et, changeant de ton,

  1. Allusion à Cléry l’ancien domestique de Louis XVI, à qui Louis XVIII avait accordé la croix de Saint-Louis.