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à qui elle allait, dès ce moment, témoigner en toute occasion sa gratitude et son zèle pour sa cause,

Louis XVIII considérait la mort de Moreau comme un irréparable malheur. Mais, en constatant que Bernadotte avait encouragé les projets du général, il en revint, malgré l’échec de ses tentatives précédentes, à l’idée de recourir à lui. A cet effet, il lui envoya le comte de Bouillé. Plus heureux, que les précédens négociateurs, Bouillé put arriver jusqu’au prince royal de Suède qui assiégeait Davout dans Hambourg. Les circonstances étaient changées, la lutte finale contre Napoléon résolument engagée. Bernadotte ne se croyait plus obligé de refuser sa porte à un agent secret des Bourbons. Il reçut Bouillé avec une bienveillance marquée, eut avec lui plusieurs conversations, le décora de l’ordre de l’Étoile polaire. Mais il se borna à lui répéter ce qu’il avait dit aux autres envoyés du Roi, et Bouillé n’osa pousser ses demandes à fond :

« Je crois, mandait-il le 27 novembre à Blacas, que si le Roi jugeait à propos de faire auprès du prince une demande franche et ouverte, je pourrais risquer à m’en charger. Mais le moment n’est peut-être pas encore assez favorable pour cela. Il faut que le prince soit débarrassé de la besogne qui l’occupe dans ce moment-ci et que ses drapeaux flottent sur les murs de Hambourg avant qu’il puisse être libre d’agir sur d’autres points. »

Un mois plus tard, ayant revu Bernadotte à Kiel après une course au quartier général russe, il fut accueilli avec plus d’effusion encore que la première fois. « Il a poussé l’affabilité jusqu’au point de m’embrasser. » Rendant compte de ses entretiens, il envoyait à Hartwell de piquantes observations sur Bernadotte et son entourage.

« Nos conversations ont entièrement roulé sur sa haine contre Bonaparte, sa résolution de renverser l’usurpateur (il ne se sert plus que de ce terme en parlant de lui), son désir de servir les Bourbons, si la France les redemande, son opinion personnelle qu’il n’y a qu’eux qui doivent y régner. Mais cette dernière pensée est encore tellement délayée dans ses raisonnemens et des hypothèses à l’infini, qu’il faudrait vous écrire un volume pour vous en rendra compte, et qu’il me serait même alors bien difficile de le faire exactement. Ce n’est point une conversation que l’on a avec lui, c’est un discours que l’on écoute. Peu d’hommes parlent mieux. Son éloquence est forte