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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/82

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est permis de croire qu’elle n’est pas indifférente dans les œuvres d’art. Les Hollandais l’ont assez victorieusement démontré, et si les tremblemens ou les brusqueries de Rembrandt dans ses dessins, et de Millet dans toutes ses œuvres, nous ont appris que des pierres précieuses peuvent être à demi cachées dans la gangue où ils les ont laissées, encore fallait-il qu’elles s’y trouvassent. Si l’on ne veut pas que nous nous arrêtions à certaines factures, qu’on n’attire pas sur elles notre attention par leur insuffisance trop notoire. Les fautes d’orthographe n’ont jamais passé pour des témoignages d’originalité, mais bien pour des marques positives d’ignorance. Avec les constatations formelles qu’on y trouve, l’histoire et les musées attestent nettement que les plus grands maîtres sont aussi ceux qui ont excellemment possédé la technique de leur art ; qu’avant d’avoir tout leur génie, ils ont commencé par avoir plus de talent que leurs contemporains, et que, sentant qu’ils avaient quelque chose à dire, ils n’ont pas voulu être arrêtés à chaque instant par les lacunes de leur instruction professionnelle. Mais on n’a que faire des enseignemens que peuvent nous procurer les maîtres du passé : c’est un poids mort, encombrant, inutile à traîner. De moins en moins on les étudiera : on n’a plus de temps à perdre pour comprendre et admirer des chefs-d’œuvre qui sont comme la condamnation vivante de l’art d’aujourd’hui, un reproche pour ceux qui le pratiquent ou qui le prônent. Les ignorer est déjà une force, en attendant que les dénigrer devienne un mérite. Ces vieux sont bien fades et trop équilibrés pour nous. Laissons-les donc et soyons modernes : l’art date d’aujourd’hui.

Il est un peu humiliant d’avoir à faire de pareilles constatations dans ce pays de France naguère réputé pour son goût, pour l’ordre et ! a clarté des idées et l’on n’est pas moins écœuré de voir que le ridicule, qui autrefois tuait les gens, est devenu pour beaucoup une profession, un moyen de se faire connaître et de parvenir. Nous conviendrons volontiers que, si regrettables que soient chez nous ces erreurs, elles aboutissent à des résultats plus monstrueux encore à l’étranger, toujours empressé à nous imiter… mais seulement pour les choses de luxe. On commence d’ailleurs à s’habituer à des travers dont l’exagération même finit par provoquer l’indifférence et qui ne soulèvent plus ni colère, ni surprise, le public parisien ne s’étonnant plus et ne s’irritant plus de grand’chose. Dans l’existence agitée, haletante