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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/820

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les lois tyranniques qui lui interdisent le bonheur. On ne sait pas trop si Mme de Charrière sympathise avec son héroïne. En tout cas, elle ne paraît pas se douter que la science puisse avoir son mot à dire, après la religion, dans la question des mariages consanguins.

C’est encore le problème de l’éducation qui fait le fond des Finch, petit roman par lettres qui a eu quelque succès. Il en aurait peut-être davantage aujourd’hui si on nous le donnait avec la seconde partie, restée inédite, et qui en est la contre-épreuve. Un gentleman écossais, sir Walter Finch, a élevé son fils d’après ses idées personnelles et au mépris de toutes les notions reçues. Il rend compte au jeune homme des motifs auxquels il a obéi, et le jeune homme, à son tour, dans une nouvelle série de lettres, raconte ses débuts dans la vie et ses propres expériences qui ont mis le système paternel à l’épreuve. Comme c’est l’usage dans les fictions de Mme de Charrière, le résultat est purement négatif. Rien ne vaut, rien ne sert, rien ne conduit à rien.

Elle faisait, semble-t-il, une exception pour ceux que leur situation appelle à gouverner les autres. Dans Azychis, prince d’Egypte qui fut son dernier, ou avant-dernier écrit, elle donne ses vues sur la manière d’élever un présomptif. M, Godet nous avertit que le roman est ennuyeux et nous ne sommes pas surpris d’apprendre que la couleur locale en est des plus faibles. Combien elle était loin, maintenant, de ce réalisme que lui avait inspiré la lecture de Sarah Burgerhart et auquel elle avait si heureusement visé dans les Lettres Neuchâteloises !

Entre les brillantes œuvres de sa maturité et les œuvres, si discutables, de son déclin, il y a, pourtant, un trait commun : le style, qui, étant inné chez elle, était, par conséquent, inamissible. Certes elle n’en devait pas le secret à cette bonne Mme Prévost, l’institutrice genevoise qui avait fait son éducation. Quiconque mettra en regard les lettres de la maîtresse et celles de l’élève (alors que celle-ci n’avait encore que douze ou treize ans) n’aura aucun doute là-dessus. Comme il arrive à tous ceux qui sont élevés loin du centre et au delà des frontières, son français retarde de trente ou quarante ans, au moins, sur celui de Paris et de Versailles. Ses maîtres préférés sont Pascal, La Fontaine, Mme de La Fayette, Fontenelle, Lesage ; c’est d’eux qu’elle tient directement sa langue. Sainte-Beuve la date très bien quand