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sacrés. Les fidèles se ceignent de guirlandes en fleurs de jasmin, de laurier-rose et d’artemisia, se couronnent de feuilles de margousier.

La route qu’il faut suivre pour atteindre ce bourg de Virapatnam où la légende place le premier établissement des Français qui fondèrent Pondichéry au XVIIe siècle, est dans un état pitoyable. Nous allions, cahotés, au trot d’un cheval plus efflanqué que celui de l’Apocalypse, et encore Soupou me garantissait-il que c’était le meilleur qu’on pût louer à Pondichéry. Et Soupou, à chaque cahot, regrettait amèrement que l’exiguïté de ses ressources ne lui permît point de réparer la route à ses frais, et même de la remettre à neuf. Comme je lui demandais les raisons d’un dévouement aussi singulier, il daigna s’expliquer : « C’est pour laisser mon nom à la postérité ! Voyez, tout le long du chemin, ces bancs très hauts qui se dressent. Ils ont été construits en bonne maçonnerie par des Hindous charitables, afin que les pauvres diables portant de lourds fardeaux sur leurs épaules puissent s’y adosser et se reposer debout sans être obligés à se décharger.

— Voilà qui est fort bien, Soupou, lui répondis-je. Mais pourriez-vous me dire, s’il vous plaît, comment s’appelaient les généreux Hindous qui ont édifié ces bancs ? »

Soupou avoua qu’on n’en avait gardé aucun souvenir. Qu’un pareil oubli s’étendît sur la route qu’il souhaitait pouvoir établir à ses deniers, c’était là une éventualité qu’il envisageait sans chagrin. L’important pour lui était de rendre service en se consacrant à une bonne œuvre. En cela, Soupou suivait la tradition commune à ses compatriotes. Attachant une grande importance aux œuvres, ils s’y consacrent avec un zèle dont les fameux repas sacrés, offerts au peuple des pauvres, vous ont déjà fourni un exemple. L’abondance extraordinaire des pénitens de toutes sectes en est encore un. Et, à mesure que nous approchons de Virapatnam, le nombre de ces pénitens augmente. Ils s’avancent sur la route blanche, poudreuse, sous le soleil implacable, en longues théories, aussi pressés que les pèlerins qui s’acheminent vers la piscine miraculeuse de Notre-Dame de Lourdes. Virapatnam est pour ces Hindous un autre Lourdes. Les miracles y sont fréquens, et les ex-voto qui encombrent les abords de la pagode prouvent la guérison et la reconnaissance de milliers de fidèles.

L’Hindou est pèlerin par nature. Sa vie se passe à voyager