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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/846

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rien, et c’est assez naturel. Tout au plaisir de leur voyage mené à bonne fin, ils festoient, s’ébattent, bavardent à tue-tête. Ou bien ils se livrent à des jeux. Deux manèges de chevaux de bois les attirent particulièrement. C’est à qui y montera, on fait queue à l’entrée. Et, au sommet de chacun des manèges, deux grandes bayadères sculptées, bariolées, luisantes, tournent en sens inverse et entremêlent leur guirlande, tandis que, sous le kiosque, au toit conique et mouvant, les bons Hindous tournent, aux sons de la musique de foire, confortablement assis sur les chaises suspendues qui remplacent les traditionnels chevaux de bois.

Sous des hangars, on sacrifie des coqs à la déesse. Le sol détrempé par le sang forme une boue rougeâtre farcie de plumes. Plus loin, on immole des boucs et des moutons. Couronné d’herbes, ce bétail attend les cliens. Dès qu’un dévot a arrêté son choix, payé le prix convenu, le sacrificateur saisit la bête, lui jette de l’eau sur la tête, et fait signe à deux aides. L’un tire sur le licou, l’autre sur les jarrets de derrière, et le sacrificateur tranche si vivement la tête avec sa grande faucille dont il tient le long manche à deux mains, que l’on croirait voir couper une simple corde. Mais comme le cou a été sectionné en son milieu, l’inhibition est incomplète. Pendant quelques minutes le corps se roule à terre, secoué de grandes convulsions. A chaque ruade, des jets de sang noir et vermeil giclent. La rosée hideuse tache les pieds, les jambes et les vêtemens des assistans. Ainsi suis-je revenu des fêtes de Mariammin portant les marques des victimes offertes par les pèlerins à la grande déesse de la variole.

Je m’en tiens pour aujourd’hui à son histoire. Ma prochaine lettre vous renseignera sur la vénérable forteresse de Vellore que j’ai visitée ces jours derniers.


Vellore, 12 août 1901.

... Vellore est la forteresse célèbre entre toutes celles de l’Inde méridionale pour son bel appareil et sa conservation. Et pourtant les touristes la négligent, je ne sais trop pourquoi. Le voyageur ne peut prendre pour excuse à son indifférence l’éloignement non plus que la difficulté des communications. Le chemin de fer de Madras a une station dans la ville. En quelques heures, ou s’y trouve transporté. Si l’on part de Pondichéry le matin, on en est quitte pour le traditionnel arrêt à Villapouram,